J’ai assisté à une présentation de L’Inattendu, mis en scène par Brontis Jodorowsky. J’ai été heureux de la sobriété et de la justesse de ce travail, heureux aussi de l’interprétation d’Eleonor Agritt, généreuse et précise ; beaucoup de force dans un corps tantôt suspendu, tantôt brisé. Je sais la persévérance qui a été la leur dans l’élaboration de ce projet, fondé d’abord sur la passion. J’espère qu’ils entendront à leur proposition et à ses qualités l’écho qu’elles méritent, et que des espaces s’ouvriront, qui permettront au spectacle de trouver le temps de s’épanouir.

Fabrice Melquiot

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Là, ici là. Ce sont les premiers mots de Liane. Et ce à quoi la pièce nous invite. L’exploration de l’âme humaine, suivant la carte tracée par le poète, a été de tous temps l’activité du théâtre. Et il n’y a d’autre temps au théâtre que Là, ici là. C’est ce Là, ici là, le joyau tapi dans la mine obscure de la création théâtrale : une qualité de rencontre, qui nous mène un pas au delà de nous-mêmes, dans cet espace où nous sommes en même temps un et plusieurs ; moi et toi et nous. Le texte de Fabrice Melquiot est une grotte pleine d’ombres à déchiffrer et en elle, Là, ici là, se déchiffrer soi-même ; par l’exigence du corps et de la voix, la présence de cette histoire s’impose telle qu’elle est écrite : des flacons apparaissent, Il n’est pas mort, Il vient la nuit et Il rôde autour du lit. C’est un conte adulte, un conte hanté, sur la mort et la renaissance. Là, ici là, dans un mouvement qui ne peut trouver sa grâce que dans précision du mot et du geste. Sur ce chemin du dépouillement, de la crédulité, de la mise au présent, je suis un chien d’aveugle : celui qui dans l’obscurité guide les pas à fleur de peau de celle qui parcourt pour nous, avec nous, Là, ici là, un coeur dévasté qui renaît de ses cendres.

Brontis Jodorowsky

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J’ai rencontré Fabrice Melquiot il y a quelques années dans un atelier de théâtre où nous étions apprentis comédiens. Plus tard, je l’ai retrouvé à travers ses textes. L’Inattendu fut le premier lu, et me laissa un souvenir permanent de son rythme et ses images. Forte d’un désir de travailler à mon propre projet, ce « récit » s’est imposé car jamais je ne m’étais sentie si proche dune écriture théâtrale. J’ai rencontré Brontis Jodorowsky en tant que comédien, et sachant qu’il voulait se consacrer aussi à la mise en scène, je lui ai demandé de prendre cette place pour mon projet. Le monologue, longue tradition théâtrale, pose, entre autres, la question suivante : pourquoi un personnage vient-il parler, seul, réfléchir à haute voix, se questionner... Vivre son être sur la scène ? Ce monologue s’élabore comme une pièce à part entière, où l’individu solitaire cherche l’autre : l’être aimé ou soi-même, en soi même. Ici, c’est le deuil et comment s’y résoudre qui sont les fondements de la trame intérieure du personnage : Liane est abandonnée et livrée à elle même, une lutte s’amorce pour avancer sans dépérir dans ce « trou noir », ressortir la tête de l’eau, respirer, revivre... Le texte de Fabrice a de multiples facettes tant par la diversité des registres et des sujets abordés, que par les rythmes variés ou les univers décalés. Il ouvre sur plusieurs degrés de jeu et nous transporte à la fois dans une réalité concrète et dans espace onirique : plusieurs niveaux de vécus, d’émotion, de réflexion. La seconde naissance de Liane et son voyage « initiatique » s’inscrivent dans un propos qui est de façon sous jacente politique : portrait d’Afrique, images symbolisant l’atrocité et l’absurdité de massacres, tous continents confondus. Il nous renvoie à nous même, et à ce monde qui nous entoure et nous compose. Ce monde de la naissance et de la mort, toujours inattendu.

Eleonor Agritt