: La Sainte Apocalypse de Jean
La poésie, dit l’un, est affaire de mots ; la poésie, dit l’autre, est affaire d’idées. Réconcilions ces
deux débatteurs avec la méthode de l’huître et des plaideurs : la poésie est affaire de musique
avec des mots, donc des idées. Sauf si l’on croit qu’il suffit de collisions avec des mots rares ou
précieux, en dépit de tout sens, ou d’idéologie dans une phraséologie éclaircie en allant à la ligne
à chaque phrase, la poésie c’est d’abord un chant qui instille du sens dans le chaos.
Jean Lambert-wild chante et s’inscrit dans le lignage primitif des poètes de la généalogie du
monde : les eddas, les genèses, les sagas. Dans L’Ombelle du Trépassé, il psalmodie un monde
celte. Pas seulement à cause de la langue bretonne, mais en regard du monde créé : un univers
de genêts jaunes et de mer sombre, d’embruns épais et de géologies grises. Mais aussi parce
qu’il regarde plus haut et plus loin que le ciel des Chrétiens, petit monde vaguement sublunaire,
au profit du cosmos, gouffre ontologique qui génère des ivresses sans nom chez le chamane
qui se dirige, calme et droit, en direction du trou noir dans lequel il plonge son âme.
Jean propose une apocalypse dans un cosmos qui ne refuse rien des langages qui ont voulu le
dire : païen, chrétien, breton, il mélange dans un athanor gravé à ses initiales «la foi des étoiles»
et «le lait de la vierge». Sait-on que, si voie lactée il y a, c’est parce que le lait d’Hera gicla dans
l’univers et constella le noir de ces taches phosphorescentes ?
Dans le même Graal païen, il verse le sabbat des sorcières et la pesée des âmes de saint-Michel,
il obtient alors une mixture sublimée par le chant qui rappelle celui des récitants dans les
tragédies grecques. Pour quoi ? Pour résoudre un problème posé comme on extrait avec deux
doigts une épine dans un buisson ardent : «l’opacité d’être moi» écrit-il. Il faut une giclée de lait
dans cette opacité.
Ce liquide lumineux lancé en direction des étoiles rencontre une sagesse. Laquelle ? «Devenir
ce qu’on n’est pas» , qui est inversion de l’inverseur de valeurs qu’était Nietzsche. «Deviens ce
que tu es» écrivait le poète philosophe Pindare. Pour que pareille idée soit juste et vraie, il fallait
croire notre destin écrit dans le mouvement du cosmos. Alors il nous suffit de vouloir ce qui
nous veut pour être.
Jean Lambert-wild propose l’inverse : il veut devenir ce qu’il n’est pas. Autrement dit : obtenir
par les mots un effacement de cette opacité de son être au profit d’une lumière qui est aussi un
chant, une musique. Dès lors, le sait-il ?, il se fait schopenhauerien en musiquant le monde qui
n’est qu’une seule grande énergie diversement modifiée. Son poème est un fragment de
cosmos.
Michel Onfray
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