POUR COMMENCER…

poser le « je me souviens » comme contenant et appelant en lui tout le théâtre.

C’est ainsi que nous nous souviendrons de Klaus Michael Grüber. Derrière le souvenir de ses Bacchantes d’Euripide de 1974^[1], il y aura le désir de retrouver quelque chose du geste grüberien, d’un geste en retrait, qui saisit en creux, par dessaisissement. Nous en déploierons devant nous les traces, les mémoires cinématographiques, les documents… nous nous ferons archivistes maniaques, pilleurs de tombes à la sauvette, cannibales invétérés… Nous mordrons à ces lambeaux et nous en tisserons d’autres mémoires… Dans ce souvenir d’un geste nous toucherons notre propre geste plus tard…Nous affirmerons sans intention, sans message… un geste sans pourquoi… nous nous laisserons aller à jouir d’un mouvement aveugle. Tout y sera involontaire, mais en même temps désiré. Tout y sera chancelant, boiteux, improvisé, tâtonné, vécu dans un éblouissement, comme animé d’un rire.

« Que je hais ceux qui font les douteux des miracles »
(Pascal – Fragment 698, Ed. Le Guern)

Dans un monde où l’on se refuse à être dupe… Dans un monde incrédule qui nie sa propre crédulité : cette illusion du être soi même, ce désir Peer Gyntien de se saisir de soi comme un tout unique et clos… dans cet archipel de subjectivités angoissées… durcies... où l’on se veut critique sans accepter pourtant de se mettre en crise, de se faire mal… qui vit dans la peur de la zone d’ombre, dans le refus de se découvrir aveugle… il est temps aussi de rire avec Dionysos de l’incrédulité… Dionysos nous dit l’errance sans certitude, il impulse le chaos et l’informe… il est Dieu épidémique^[2]… Dieu pestiféré… Le théâtre… la peste… 1720… le sillage du Grand Saint Antoine dans le port de Marseille… Saint Antonin plutôt… etc, etc…

A ce rire se mêle le pas chancelant du carnaval… celui aussi d’un cortège d’infirme… d’aveugles tâtonnants… quelque chose du corps en fuite, du fou fouetté en procession par toute la ville au moyen âge…

Nous tenterons ainsi de nous découvrir un corps ivre, malade, flétri… … de créer un continuum qui nous fait toucher au temps d’après, à un moi vieilli, nous consentirons à le sentir sourdre dans ce mouvement de sape….

« Les dieux à l’inattendu livrent passage »
(Euripide -Les Bacchantes, vers 1391)

Sous le signe de Dionysos → devenir le lieu d’un passage

dissoudre le point

se faire fragment

dire le décentrement infini par le mouvement

En arrière plan, il y aura aussi quelques chose du souvenir des mains négatives, mutilées, des grottes de Gargas^[3], où la peinture vient unir, faire pénétrer et mêler la chair et la pierre… trasumanar aurait dit Dante^[4]… transpasser… atteindre cette zone d’indiscernable, au prix de la chair même, dans un mouvement qui « nous coutera tout nos noms ».

On entendra la Messe en si.
On l’entendra ou pas.
On laissera la musique exister pour elle-même, au-delà de l’illustration,… elle ne sera pas d’ambiance… elle n’impulsera pas de rythme… elle n’impulsera pas de sens… elle existera comme un corps autre… autonome… elle dépassera…

…nous nous souviendrons alors de Robert Walser pour qui « ce qui passe dépasse »^[5]. Tout sera vécu dans l’errance, dans l’écoulement. « Dionysos comme le dieu des lieux de passages et des choses d’oubli »^[6]…

Plus que faire oeuvre → œuvrer à une permanente germination

Sur ce sol incertain, quelque chose va se dessiner…

nous y croyons,

de cela aussi nous serons crédule…