theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « L'Anniversaire »

L'Anniversaire

+ d'infos sur le texte de Harold Pinter traduit par Eric Kahane
mise en scène Claude Mouriéras

: Entretien avec Claude Mouriéras

Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française - juillet 2013

Faut-il en rire ?
Chez Pinter il vaut mieux rire au début car à la fin en général ça se gâte.
Comme le dit Goldberg à McCann, au début du premier acte : « Détends-toi, prends des vacances, offre-toi ce plaisir. » Ce théâtre de la menace, qui caractérise la plupart des pièces de Pinter, s’ouvre sur de la détente, sur ces vies toutes simples faites d’habitudes et de petits compromis si quotidiens et si drôles. On rit de ces répliques qui tombent à plat, de ces vies absurdes et tellement humaines. Même les bourreaux sont drôlement humains, eux aussi ont leurs fragilités, leurs doutes, eux aussi rêvent de vacances… comme nous. « On oublie parfois que les tortionnaires s’ennuient très facilement », nous rappelle Pinter. Alors, tout le monde essaye de se distraire, on rit… puis, au fil de la pièce, on rit un peu moins pour finalement regretter d’avoir ri. Car derrière cette comédie féroce, typiquement anglaise, très enlevée, on est confronté à la délation, à l’enfermement et à la torture. C'est un thème récurrent dans l’oeuvre de Pinter, l’image de l’Homme bâillonné, aveuglé, humilié est annonciatrice des images des prisons d'Abu Ghraib : que ce soit dans les geôles des régimes totalitaires ou dans les prisons aseptisées des régimes démocratiques, Pinter nous oblige à regarder cet Homme nu, bâillonné, soumis.
Mais il va plus loin, il sème le doute pour que nous nous reconnaissions non seulement dans cet homme qui souffre, mais aussi dans le bourreau ou dans le témoin qui est peut-être le dénonciateur. Pinter n’a que faire d’une morale où le bien et le mal seraient facilement discernables, reprenant à son compte cette phrase de Beckett : « Là où nous avons à la fois l’obscurité et la lumière, nous avons aussi l’inexplicable. » La victime a sa part de médiocrité et le bourreau sa part de fragilité. Ce ne sont pas les régimes totalitaires facilement condamnables qui intéressent Pinter, c’est le bourreau qui habite chacun des citoyens du monde libre. Il s’intéresse à ce qui dans nos démocraties peut basculer vers le totalitarisme. Le mal est ici, en nous, il suffit de se regarder attentivement dans un miroir.


Parler c’est agir
L’Anniversaire est une pièce de ses débuts – elle date de 1958 – et déjà, tous les thèmes de son théâtre s'y trouvent : la trahison, la menace, l’arbitraire, la soumission. Mais Pinter ne se contente pas de dénoncer, ce n’est pas un pamphlétaire, un porteur d’étendard, c’est un artiste, il mène son combat avec des mots, avec le langage. Il incarne ses personnages non pas à travers une psychologie, mais à travers un langage. Ils sont là, simplement devant nous, sans explications ou justifications. C’est sans doute pour cela qu’ils nous paraissent tellement humains. Ce sont nos frères. Alors qu’il a lui-même joué et mis en scène certaines de ses pièces, Pinter n’a jamais voulu donner d’explications sur ses personnages. Il n’y a pas de raisons pour lesquelles celui-ci est un bourreau et tel autre une victime. Pinter dit que les personnages s’imposent à lui, qu’ils ont leur propre vie, leur propre autonomie, il reconnaît avoir en fait très peu d’influence sur eux. Pour monter Pinter, il est essentiel de se rappeler qu’il a d’abord été un acteur. Pendant des années à travers tout le pays, il a joué Shakespeare. Son écriture vient de là, de cette volonté d’incarner les personnages dans des gestes, des paroles. Orson Welles disait que ce qu’il y a de tellement puissant chez Shakespeare, c’est qu’il a écrit avant la psychanalyse : il se moquait des raisons pour lesquelles Iago est un traître ! C’est un traître, c’est tout. Dans L’Anniversaire, on ne saura pas pourquoi Goldberg et McCann débarquent, quels étaient leurs liens avec Stanley et quel crime il a commis. Tant mieux. L’arbitraire est un des fondements du totalitarisme. On ne saura jamais non plus qui ment et qui dit la vérité. On ne saura même pas si ce jour est vraiment l’anniversaire de Stanley.
Parler c’est mentir.


Réduire l’autre au silence
D’une façon très paradoxale, on peut dire que L'Anniversaire est un flot de paroles, de mots, de questions (évoquant un interrogatoire) destiné à réduire l'autre au silence. En cela, cette pièce en rejoint une autre beaucoup plus tardive, La Langue de la montagne, où les personnages n’ont plus le droit de parler leur langue maternelle ! Empêcher l'autre de parler, le réduire au silence, voilà une violence qui parcourt toute l'oeuvre de Pinter.
Il y a deux sons importants dans L’Anniversaire, le bruit du journal que déchire consciencieusement McCann et les roulements du tambour que Meg offre à Stanley. Je ne sais pas pourquoi McCann passe autant de temps à déchirer lentement des bandes de papier journal, peut-être que cela le calme. C’est un geste simple, banal et qui finit par être inquiétant, insupportable, mais qui pourrait être aussi un appel à l’aide… Le tambour d’enfant que reçoit Stanley semble plus anodin, plus puéril et pourtant, c’est ce son agressif qui va percer les oreilles de Meg.
Chacun des personnages de la pièce va osciller entre le flot de paroles et le silence. Silence de celle qui ne veut pas voir ce qui se passe, qui n’a pas le courage de dénoncer l’horreur de la situation. Silence de la victime qui n’a plus la force de parler, silence du tortionnaire qui se laisse envahir par le doute. Silence du travail bien fait.
Le rire a disparu, le silence s’installe, l’ordre règne.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.