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L'Abécédaire des temps modernes (Tomes 1, 2, 3)

+ d'infos sur le texte de Paul Pourveur
mise en scène Michael Delaunoy

: Paroles de metteur en scène

Les spectateurs qui ont vu le Tome 1 de l’Abécédaire des temps modernes tel que nous l’avons présenté en 2006 et en 2007, s’interrogeront peut-être sur les raisons qui nous ont poussés à présenter la version complète (tomes 1, 2 et 3) durant une même soirée. A quoi bon revoir le tome 1, pourraient-ils se demander avec raison ?
Pourquoi ne pas nous permettre de découvrir directement les tomes 2 et 3 ?


Au moment où nous créions sur scène le tome 1, Paul n’avait pas encore écrit les deux autres tomes. S’il avait une idée assez précise des thématiques qu’il souhaitait y développer, il ne possédait pas encore de plan d’ensemble. Aussi l’écriture des tomes 2 et 3 l’a-t-elle amené à remanier le tome 1, tel élément qui y figurait apparaissant comme plus adéquat dans le tome 2 ou dans le tome 3, tel nouvel élément gagnant à prendre place dans le tome 1… Du côté des actrices et de l’équipe de création, la découverte de l’ensemble des trois tomes nous a incités à reconsidérer, parfois en profondeur, certains choix d’interprétation développés initialement dans le tome 1.


Le tome 1, tel qu’il sera présenté au Rideau de Bruxelles, sera donc un tome 1 redux, certains aspects restants inchangés, d’autres étant considérablement modifiés, d’autres étant déplacés, voire supprimés (le tome 1 sera réduit d’une heure vingt-cinq à une heure), d’autres enfin étant tout à fait neufs : la lettre H, par exemple, est complètement différente et ne porte plus le même titre. De Harmonie, elle est devenue Héritage


Quelqu’un qui aurait découvert les tomes 2 et 3 avec seulement le souvenir du tome 1 « première version » aurait eu peu de chances de s’y retrouver. Aussi le principe de présenter l’ensemble des trois tomes sur une seule soirée nous semble-t-il plus cohérent.


Ceux qui ont vu le tome 1 se souviennent peut-être qu’il y est question d’une jeune fille nommée Ghislaine.
Ghislaine refuse son prénom avec une obstination n’ayant d’égale que la détermination avec laquelle elle veut s’affranchir de tout carcan. Ses parents vivent une histoire d’amour gracieusement hermétique entre les errances du père (qui désormais se nomme Julien) et le magasin de porcelaine de la mère (qui désormais se nomme Julie). Le tome 1 se clôt par l’explosion du magasin de porcelaine, qui semble signer la fin d’un monde, un monde hérité du dix-neuvième siècle, peuplé de femmes frêles habillées de longues robes somptueuses et d’hommes charmants et cultivés et très soignés, toujours prêts à servir une femme. La causalité et le rationalisme dominant le dix-neuvième siècle et pour une bonne part le vingtième ont eux aussi volés en éclats, nous plongeant dans le monde du fragmentaire et de l’indéterminé.


Si de nombreux textes contemporains explorent, quelquefois avec une certaine complaisance morbide, des thématiques similaires, l’Abécédaire des temps modernes va plus loin que la majorité d’entre eux en s’intéressant, bien au-delà d’une dramaturgie du constat, au devenir post-humain. Se rappelant que l’être humain se caractérise par sa capacité sans égale à s’adapter aux bouleversements les plus extrêmes, Paul Pourveur s’interroge, à travers trois générations (Julie et son amant Julien, Ghislaine – fille de Julie – et son amant Ghislain, Camille – fille de Ghislaine - et son amant… Camille) sur les mutations qu’a commencé à subir l’Homo sapiens.


A l’heure où les images du premier homme enceint ont fait le tour du monde, où la bionique explore les perspectives vertigineuses offertes par les prothèses électroniques, où les androïdes sont sur le point de se mêler à nous sans que nous puissions les distinguer, où mondes réels et virtuels se côtoient, se rencontrent, voire se substituent les uns aux autres, comment devons-nous, pouvons-nous envisager notre rapport au désir, au corps, à l’amour, à la procréation, au vivre ensemble ? Sommes-nous entrés dans l’ère de la grande solitude ou accédons-nous à de nouvelles façons d’aller à la rencontre de l’autre ? L’héritage que nous ont léguées les générations précédentes, les traditions, les croyances, ont-elles encore un sens ou sont-elles condamnées à l’oubli ?


Avec l’Abécédaire des temps modernes, qu’il considère comme son oeuvre la plus ambitieuse, Paul Pourveur démontre avec une stupéfiante maîtrise dramaturgique que le théâtre peut encore jouer ce rôle qu’on lui dénie trop souvent : celui de laboratoire des savoirs, des désirs et des comportements humains.

Michel Delaunoy

17 février 2009

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