theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Kroum l'ectoplasme »

Kroum l'ectoplasme

+ d'infos sur le texte de Hanokh Levin traduit par Laurence Sendrowicz
mise en scène Jean-Jacques Mateu

: Analyse et intentions : La comédie selon Levin

Genre de prédilection de l’auteur, la comédie décrit le combat quotidien de « petites » gens, pris dans des systèmes de relations : le couple, les amis, la famille, ou cette fois le quartier comme métaphore de la société et du monde. Soi-même et les autres. Soi-même et le monde.
L’intrigue de ce type de comédie de quartier suit toujours les grandes étapes de la vie, de la naissance à la mort. Kroum est sous titré « comédie avec deux mariages et deux enterrements ». Il s’agit bien d’une comédie de l’existence. Le parcours des personnages se mesure à l’aune du résultat – le plus souvent l’échec - avec lequel ils franchissent les obstacles qui jalonnent les étapes de l’existence. Il s’agit bien d’une comédie de l’existence.


Ici, le nom des personnages évoque souvent un trait fondamental de leur caractère ou de leur personnalité, mais il s’agit rarement d’une qualité : Kroum l’ectoplasme, Tougati l’affligé, Shkitt le taciturne, le trio central de la distribution. Trouda la bougeotte, Doupa la godiche pour les filles du quartier. Seuls semblent émerger du lot Takhti le joyau, mais avec quelle ironie ! Comédie de bras cassés.


Les désirs et les aspirations des personnages - et donc leur conflits - sont toujours primordiaux, vitaux : réussir sa vie ou profiter de la vie, rencontrer la « femme de ses rêves », fonder un foyer, avoir de « beaux » enfants, satisfaire les ambitions de sa mère, quitter son quartier, s’installer ailleurs - un ailleurs toujours chic et prospère, de préférence suisse ou californien. Emprunter l’ascenseur du progrès et posséder les biens les plus sophistiqués. Se remplir à tous les sens du terme. Laisser trace de son passage sur terre ou laisser une oeuvre. Trouver un sens à l’existence, une finalité à la souffrance humaine. Et tous ces objectifs apparaissent sur le même plan, sans aucune hiérarchie. Comédie des désirs et des ambitions.


Kroum rêve de déménager dans un quartier résidentiel, symbole de réussite sociale. Il rêve aussi de la merveilleuse Tswitsa, en partance pour Los Angeles, symbole des opportunités qui ne seront jamais les siennes. Il rêve d’écrire un roman qui le rendra célèbre, mais n’en écrira pas la moindre ligne. L’humain chez Levin rêve toujours d’ailleurs, de riches et heureux bouts du monde, mais l’humain chez Levin, achète rarement son billet. Rêves désespérés et absence de début de commencement de tentative. Comédie du simulacre.


Les actions sont tout à fait vaines. Les personnages passent davantage de temps à parler de leurs désirs, à énoncer leurs ambitions, qu’à les accomplir vraiment. Les conflits ne se situent donc pas dans un espace entre les personnages mais en eux-mêmes. Chacun d’eux, dans sa relation à luimême constitue donc le moteur de l’intrigue. Comédie dans une boîte crânienne.


Mus par une volonté farouche de réussir - dans leur voisinage ou dans un univers plus large - ils foncent en avant dans l’espoir de réaliser la grande promesse que l’avenir, croient-ils, leur réserve, mais battent en retraite lorsqu’ils se rendent compte que le résultat ne sera jamais à la hauteur. Comédie d de la désillusion.


e Les personnages sont à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des situations qu’ils engendrent. Ils les vivent et en même temps les observent et les commentent. Ils sont ainsi tout à la fois loin de nous, personnages de fiction dans un univers dramaturgique très cadré, et très proches de nous, de notre temps, de nos problèmes, proches de l’analyse que nous pouvons faire de nous-mêmes, pauvres spectateurs. Comédie épique et réaliste.


Que leur reste-t-il pour arranger leur vie alors ? Pas grand-chose.
Quand la maladie les ronge, ils se tournent vers la médecine et lui tendent leurs fesses, mais la médecine - comme les dieux dans la tragédie - n’est d’aucun secours. Totale absence de compassion !


Quand leur train-train quotidien leur paraît insupportable, ils se réfugient au cinéma, imploré tel un Dieu, seul ticket vers une perfection imaginaire, mais celui là les renvoie une fois de plus à leur médiocrité dès que la lumière se rallume. Comédie de l’imperfection.


Impuissants, geignards, les personnages s’enfoncent avec une certaine complaisance dans l’échec, mais loin de se décourager pourtant, ils redoubleront à nouveau d’efforts, ou en tout cas le décideront ainsi. Le fossé entre l’énergie dépensée et le maigre résultat obtenu ne fait que s’accroître. Comédie de répétition et d’accumulation.


Et il ne leur reste en fin de course que le goût saumâtre des occasions manquées. Comédie de l’amertume et de l’aigreur.


Ce contraste - énergie / absence de résultat - engendre bien entendu des situations comiques, des répliques incisives, des effets burlesques, mais aussi bien souvent des scènes cruelles où l’auteur excelle à mettre à nu la tristesse et la souffrance, la jalousie et l’aigreur. Comédie du désespoir.


En nous faisant passer ainsi en permanence du rire aux larmes, Levin nous invite à nous reconnaître en des personnages qui nous renvoient sans cesse à nous mêmes. Il nous invite à rire de nous-mêmes, à aimer la part d’humanité, de rêves, mais aussi de faiblesse et de lâcheté qui est en eux, qui est en nous.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.