theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Je suis d'ailleurs »

: Note d'intention

Ce diptyque comprend deux formes brèves d’environ 30 minutes chacune. La première est l’adaptation d’une nouvelle de Howard Phillips Lovecraft The Rats in the walls créée en avril 2014. La seconde est l’adaptation de The Outsider, du même auteur, créée au printemps 2015. Le tout s’intitule Je suis d’ailleurs (traduction française de The Outsider).


Pourquoi un diptyque de formes brèves?


Parce que le précédent diptyque Désillusions marionnettiques autour de l’auteur Matéi Visniec, a connu un franc succès et parce que le format bref avec une technique assez simple permet une plus large diffusion notamment dans des lieux non théâtraux, des festivals.


Pourquoi Lovecraft ?


« The oldest and strongest emotion of mankind is fear, and the oldest and strongest kind of fear is fear of the unknown ». H.P. Lovecraft


En bon écrivain de science-­fiction qu’il est, H.P. Lovecraft aime avoir peur et part ainsi à la conquête de l’inconnu : le cosmos, le surnaturel, l’anormalité, mais surtout, lui-­même.
Toute l’oeuvre de Lovecraft pour moi, se résume à une idée phare : l’individu, tout au long de sa vie, n’a en fait qu’une seule et même quête qui se révèle être en même temps sa peur la plus profonde : se connaître lui-­même. Au delà des monstres fantastiques et de la peur cosmique primaire, Lovecraft apprivoise son inconnu inconscient en rêvant puis en écrivant.
Cette quête-­panique de l’inconnu à l’intérieur de soi par delà le monstrueux rejoint mon approche artistique personnelle et m’a conduit à sélectionner ces deux nouvelles.
Les Rats dans les murs explore la notion d’hérédité maudite à laquelle le protagoniste ne peut échapper ; c’est l’allégorie des rats qui vont tout envahir.
La seconde nouvelle, The Outsider, est plus métaphorique et résume à elle seule toute l’oeuvre de Lovecraft : la quête de la connaissance de soi est terrible car d’une part elle passe par le regard d’autrui, et d’autre part, par notre propre regard, ce qui est plus terrible encore. Car pour Lovecraft, ce que nous voyons alors n’est autre que le monstre qui sommeille en nous…


L’adaptation


Ce choix de textes se situe dans la lignée de ma recherche artistique à plusieurs niveaux et me permet de plus la liberté absolue qui m’a bien souvent manquée avec les auteurs contemporains.


Le thème du monstre est plus que récurrent dans ma recherche artistique, notamment dans le dernier spectacle Scènes de la vie ordinaire.
Pour moi le monstre, du latin qui veut dire montrer, raconte et nous aide à comprendre d’une façon à la fois poétique, burlesque et effrayante, notre humanité. Il est le miroir idéal de nos ombres, de nos peurs ; il les met à distance et nous permet de mieux les appréhender pour les transcender.
Pour Lovecraft, les monstres sortis de son imagination sont les symboles de ce que nous ne voulons pas voir, c’est à dire qui nous sommes.
Le monstre amène naturellement l’évidence et la nécessité de la marionnette et du masque, médias particulièrement importants dans ma recherche.


Le son
L’écriture de Lovecraft est une écriture très impressionniste qui fait la part belle aux sonorités, notamment au cri, quand le langage est impuissant à faire entendre l’innommable.
Le son fera ainsi partie intégrante du spectacle : je collabore régulièrement depuis 2005 avec le musicien Uriel Barthélémi -­ qui commence à se faire connaître par ses compositions pour la scène théâtrale et marionnettique -­ et nous approfondirons cette coopération.


Le spectacle comme une cérémonie cathartique
La vision de Lovecraft est pessimiste et désespérée, ses personnages découvrent l’horreur de ce qu’ils sont et n’ont alors de solution que la fuite : la mort ou la folie. Car pour Lovecraft, la solution, l’exorcisme, c’était l’écriture. Dans le spectacle, nous intégrerons ce fondamental aspect cathartique en introduisant un décalage « cérémonial » qui fera office pour le personnage, et pour le spectateur, de catharsis. Ce n’est pas juste l’histoire horrible qui est racontée, c’est déjà la cérémonie qui a pour office de la dépasser.
Par exemple, dans Les Rats dans les murs, le protagoniste au début de l’exposition par la voix off, pend des petits personnages dans l’arbre (généalogique) comme pour à la fois concrétiser et dépasser les terribles histoires familiales qui sont évoquées. Dans The Outsider, le héro effectue une sorte de danse avec son double noir pour à la fois l’apprivoiser et s’en détacher définitivement.


Humour et marionnette
Autant Lovecraft est au premier degré dans l’horreur absolue, autant l’adaptation scénique introduira un décalage humoristique dans lequel d’ailleurs le gothique de la nouvelle peut facilement glisser.
Ce pas de côté, que la marionnette et le masque accompagnent, est primordial à la mise à distance nécessaire au sens et questionnement qu’induit le spectacle.




Pour la première partie de la création, mon choix s’est porté sur Les rats dans les murs, une nouvelle écrite par H.P. Lovecraft en 1923, que j’adapterai et mettrai en scène.


Synopsis de départ de la première petite forme : Les Rats dans les murs


Dans cette histoire, le narrateur nous confie qu’il a récemment quitté le Massachusetts pour emménager dans une vieille demeure anglaise ayant apartenue à ses ancêtres, connue sous le nom maudit du Prieuré d'Exham.
Très vite et à plusieurs reprises, le protagoniste et son chat sont réveillés et terrifiés par des bruits de rats grouillant et galopant derrière les murs. Après une courageuse et brève enquête, notre héros comprend avec horreur que ses aïeux avait entretenu pendant des siècles une cité souterraine dont les habitants se nourrissaient de chair humaine, poussant même le vice jusqu'à élever du bétail humain ! Rendu immédiatement fou par cette découverte et soudainement envouté par une irrépressible et héréditaire force obscure, le narrateur se rue sur un de ses amis et entreprend de le dévorer… Du fond de son établissement psychiatrique, il continue aujourd’hui à nous clamer son innocence, répétant que ce sont « les rats, les rats dans les murs » qui ont dévoré son ami. Rats qu’il continue d’ailleurs, à entendre dans les murs de sa cellule…


L’adaptation


Cette forme brève conjuguera librement texte (voix off et monologues), marionnettes, masque et musique pour un comédien-­marionnettiste seul sur scène. Le son sera une partie très importante du spectacle et pourra rendre compte de l’importance de la sonorité dans l’écriture de Lovecraft, notamment pour l’aspect cauchemardesque et oppressant de l’invasion des rongeurs.


Les Rats dans les murs constitue une bonne introduction au sujet directeur du diptyque à savoir l’horreur lovecraftienne de la quête de soi. Dans la nouvelle, le protagoniste va faire les frais de la découverte de de son hérédité…


Le monstrueux se décline ici sous les traits de l’individu border line.
Les événements auxquels est confronté le personnage de Lovecraft ne se limitent pas à une invention de son esprit malade ; les rats infestent réellement les murs, les pulsions menacent effectivement de traverser la mince frontière mentale que l’on croit si solide et hermétique.
Enfant, Lovecraft a vu son père puis sa mère « passer de l’autre côté » et se faire interner ; adulte, il n’aura de cesse que de transcrire les visions terribles qu’il endure lui même afin de les exorciser.
Les rats de Lovecraft sont la fatalité génétique de l’hérédité et la négative vision lovecraftienne du subconscient.
Déjà en 1923, la logique scientifique matérialiste cartésianiste contribue au polissage et à l’enterrement de pulsions et de conditionnements profonds. Pour Lovecraft c’est cette dissimulation, cette interdiction qui concourt à la rupture brusque des vannes et aux sorties de noirceur les plus abjectes du genre humain.


Dans le spectacle, l’angle ludique, cathartique et lumineux de l’inconscient sera tout aussi important.


L’humour et la marionnette contribueront à créer un subtil décalage, une mise à distance de l’horreur absolue, nécessaire au sens et questionnement qu’induit le spectacle.


Les marionnettes
Le chat est le second personnage principal, alter ego et miroir du héro. Il faut noter en effet que le félin est la seule créature animale à être à la fois aussi mignonne et familière et aussi redoutable prédateur carnivore et sadique ; c’est l’animal stéréotype parfait du tueur psychopathe.
Le matériau de construction utilisé pour les masques sera encore le latex que j’aime pour sa ressemblance avec la peau humaine, sa résistance et sa fragilité à la fois.
Un masque réaliste et monstrueux intervient à la toute fin pour monter « l’innommable » à savoir l’horreur que constitue la découverte de qui on est. Pour cette première partie du diptyque, nous suivons Lovecraft dans l’horreur sans retour !


Quelques remarques sur la scénographie
Un Arbre, à la Tim Burton, irréel et mystérieux constituera un espace à la fois symbolique, imaginaire et réaliste.
Tantôt arbre généalogique, tantôt espace indéterminé, tantôt espace de rêve…




Synopsis de The Outsider (1921)


N'est pas mort ce qui à jamais dort
Et au long des siècles peut mourir même la mort.
H.P. Lovecraft L'Appel de Cthulhu


The Outsider est tantôt traduit en français par Je suis d’ailleurs ou tantôt par L’Etranger. Mais ici le mot étranger est à prendre au sens lovecraftien : est étranger ce qui est radicalement étranger à la terre, incompréhensible et dont la contemplation peut conduire à la mort ou à la démence.


Dans cette fable, si la noirceur est encore là, le ton est plus poétique et allégorique. Nous suivons un mystérieux narrateur -­ prisonnier -­ qui ignore qui il est et à quoi il ressemble et qui entreprend alors dans une véritable aventure pour atteindre la lumière du jour. Il finit par découvrir qu’il est un monstre, une goule, un mort vivant, un vampire, nous ne savons pas exactement, lorsqu’il se trouve confronté aux autres, puis à son propre reflet dans un miroir.


Comme dans la plupart des nouvelles et romans de Lovecraft, le héro (ou plutôt l’anti-­héro) est envahi par un irrésistible besoin, une curiosité irrépressible et se lance dans une aventure identitaire à travers tours, donjons et forêts gothiques.

Pour aller enfin « voir le jour », il doit se confronter au regard d’autrui (ce qui est terrible pour Lovecraft) avant la confrontation finale avec son double monstrueux qu’il intègre malheureusement comme seule et unique personnalité. Nous irons un peu loin que Lovecraft pour dépasser le double noir et accéder à l’individu enfin « rassemblé », ayant apprivoisé ses deux faces, la sombre et la lumineuse.
La chute de la nouvelle nous fait comprendre que le narrateur est une sorte de mort vivant, un vampire qui n’a fait que revenir inconsciemment sur les lieux où il aurait vécu sa première vie humaine ; mais le vampire n’est-­il pas justement un personnage privé d’identité et d’énergie, qui doit aller la voler aux vivants en leur suçant le sang ? Eternelle quête d’identité là encore ou faute d’identité et de force vitale, on se doit d’aller la chercher chez les autres.


The Outsider commence où se finit la forme brève Les Rats dans les murs : sur le monstre. Le spectateur voit le protagoniste sous son aspect monstrueux mais au fur et à mesure, l’humain qui se cache derrière le monstre apparaît pour se confronter à son ombre et la dépasser.
Les personnages secondaires, comme ceux qui ont veillé sur sa jeunesse ou ceux qui s’enfuient en criant à sa vue, sont à la fois l’Altérité dans sa totalité et la perception subjective du héro. Le miroir qui révèle l’horreur finale dans la nouvelle peut être aussi interprété librement. C’est la nudité de la naissance à soi même qui fait hurler le protagoniste, quand les masques (et les prothèses) sont tombés.
Ici, nous nous éloignons du noir pessimisme de Lovecraft pour pousser l’interprétation de cette nouvelle dans ces retranchements les plus… ouverts ! Le traitement sera plus chorégraphique et musical, nous utiliserons la marionnette comme double du héro ainsi que le masque et la prothèse corporelle et faciale pour traiter du monstrueux.
Le (ou les autres) comédien(s) marionnettiste(s) contribuera(ont) à animer le corps monstrueux du héro, aidera(ont) à sa métamorphose et manipulera(ont) la marionnette de « l’ombre noire ».
Un très gros travail sonore accompagnera cette « cérémonie libératrice».


Quelques mots sur la scénographie
Le personnage évoluera dans une sorte de cage triangulaire, ouverte vers le public et tissée de filins noirs pouvant évoquer poussière, toile d’araignée, émanations noires… (Cf iconographie ci-­‐dessous pour l’inspiration)
Dans le V du triangle, caché derrière des panneaux de velour noir, un (ou deux) marionnettiste peut oeuvrer sur le corps truffé de prothèses du comédien, puis sur la manipulation de la marionnette du double à la fin.

Catherine Hugot

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.