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J'avais un pays autrefois

Jean-Christophe Blondel ( Mise en scène ) , Alain ( Texte )


: Présentation

Alain est né en 1868 : cela fera 150 ans en 2018. Quand la guerre éclate, ce penseur pacifiste s’engage par solidarité avec les soldats, génération de ses jeunes élèves.


Il y écrit en 1916, lors d’un séjour d’un mois à l’hôpital, une pièce de théâtre, 21 scènes de comédie, sorte de préfiguration du Grand-peur et misère du Troisième Reich de Brecht, portrait des mécanismes sociétaux et du pouvoir qui conduisent un peuple à la guerre, leurs effets sur l’individu au front et à l’arrière. Les scènes du front sont les plus comiques, celles du ministère, les plus effrayantes… Toutes éveillent les sens et la curiosité. En homme pudique, il tend lentement mais très fort l’arc de l’émotion, et la catastrophe de cette jeunesse sacrifiée nous surprend parfois violemment au détour d’une scène d’amour pleine d’esprit et de désir, ou du monologue d’un guetteur immobile dans la lumière de l’aube.


Il écrit la même année, « sur un sac de pommes de terre », un roman, Le Roi Pot, où il suit, et commente avec amitié, les rencontres, dialogues et pensées du soldat Urbain, son double. On pense à Walser : même humour, mêmes pensées virevoltantes, associations libres, paysages croqués d’un trait. Même solitude attentive à l’autre, même joie triste de ceux qui se retrouvent détachés de la vie sociale, moitié par choix, moitié par trop grande différence. Mais les paysages riants de Walser laissent place ici à des vallées de boue, des villages de garnison. Les trajectoires d’Urbain racontent ses pensées : des chemins de traverse, des sentiers effacés, des ronces. Même les salons cossus où, simple soldat en permission, il croise ses anciens camarades d’études, sont des labyrinthes sans issue.


Alain dessine la société comme un « Système » qui se nourrit des passions, flatteries, ambitions et médiocrités humaines, où la classe dirigeante pare les esprits de tout son peuple d’esclaves d’une illusion de liberté et de démocratie, tandis que les corps sont entraînés dans une machine à exploiter et à condamner à mort. En lisant ces œuvres, on assiste à la progressive prise de conscience et formulation des mobiles de son étonnant engagement au plus bas de la hiérarchie militaire : pour résister à la tentation d’être complice d’une « élite » soumise à pensée unique, il choisit la place de l’esclave, parmi « les meilleurs », les seuls finalement qui peuvent produire une pensée libre, tandis que leur corps est dans les fers et que le reste du monde les a abandonnés.


Analyse de la guerre comme outil de mainmise sur le peuple, réflexions sur les illusion du progrès technique et de la société de consommation, sur la résistance, sur la décroissance… Cet homme a pensé et vécu dans sa chair des questions proches de celles qui nous assaillent d’aujourd’hui. Et… c’est du théâtre. « Ca joue ». La philosophie se fait poésie, situations. Elle évite les didactismes, elle confronte, comme dit Godard, « les idées vagues et les images claires ». L’écriture n’imite personne, elle est extrêmement originale. Nous l’avons testée au cours d’un laboratoire de trois jours, d’où est née la décision de le monter. Malgré l’inquiétude (délicieuse) d’aborder un total inédit, après Claudel, Ibsen ou Maeterlinck, je me réjouis de travailler une si belle matière littéraire.


Notre projet est de jouer certaines des 21 scènes, mêlées d’extraits du Roi Pot. Nous tentons de mêler, à la vie naïve et l’à-plat parfois presque « marionnetique » des dialogues (car marionnettes il y aura), de mettre en perspective le quotidien individuel et la machine macroscopique ; de trouver dans le roman, très symboliste dans ses images, matières à échapper à un traitement naturalisme du théâtre ; de travailler le son aussi, pour créer un large spectre d’émotions, un mille-feuille de significations, de sens ouverts, d’invitations à rêver.


Nous ferons ce spectacle en deux temps et en deux versions. L’une pour les salles de classes, sera jouée dès janvier 2018 et utilisera la salle, les tables, et le public des élèves, pour créer un labyrinthe, et une nation à l’image de celle dont Alain fait le portrait. Puis ce sera, à l’automne 2018, une version pour la scène. La commémoration de l’Armistice sera l’occasion d’entendre ce qu’Alain a à nous dire à propos de la paix, de la vigilance, de la responsabilité individuelle.


« L’histoire nous raconte notre temps, toujours, mais si cette pensée nous vient, elle nous importune… », dit Alain dans Le Roi Pot. Les deux spectacles seront joués par une troupe internationale. Roumanie, Espagne, Irak, Syrie, Afganistan : chacun de ces acteurs a un rapport personnel, actuel, à l'œuvre, qui nourrit les répétitions et le spectacle.

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