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Accueil de « Hughie »

: le projet

Philippe Buquet, directeur de l’Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône me fait parvenir Hughie, une courte pièce d’Eugene O’Neill, et me propose de rencontrer Gilles Cohen, le comédien qui lui a fait découvrir ce texte. Si j’aime mûrir des projets durant des années, j’aime aussi me laisser porter par des propositions, des rencontres, qui ont des chances de m’amener à des endroits de travail que je n’avais pas prévus.


Je lis donc ce texte, et me retrouve avec Érié, le joueur et beau parleur, dans un hôtel miteux de West Side à New York, où il réside. Érié tarde à remonter dans sa chambre, et soliloque devant un gardien de nuit quasi mutique. Erié parle au gardien de son ami décédé il y a peu, Hughie, le précédent gardien de l’hôtel. On devine au fil de ses confidences qu’Hughie était le seul être devant qui il a pu fanfaronner, mentir, se vanter, sans essuyer de regards soupçonneux ou méprisants. Le seul être qu’il battait au jeu à tous les coups. Hughie était son faire-valoir, devant lui il pouvait se recréer une vie, restaurer son image, sa dignité. Le nouveau gardien n’écoute rien, il est ailleurs, lance une phrase de temps en temps pour donner le change. C’est son métier. Érié ne se décourage pas, il continue à soliloquer, comme pour retarder le moment où il devra se retrouver seul dans sa chambre. Peu à peu, insensiblement, et c’est la force de l’écriture d’O’Neill, le rapport entre les deux hommes se densifie, le gardien se prend à écouter, à poser des questions. Il est pris au piège. La boucle est bouclée, Érié a trouvé sa nouvelle proie, son nouveau faire-valoir, son nouveau perdant.
C’est d’une grande simplicité et d’une grande force. Ce texte est en même temps extrêmement concret, contemporain, et absolument intemporel. Il se referme sur lui-même comme une fable, un mythe, et il ouvre notre écoute sur un champ profondément humain : la solitude, le besoin de mentir pour ne pas s’écrouler, pour garder un temps soit peu l’estime d’un autre, donc de soi-même.


Convaincu par ma lecture, je prends rendez-vous avec Gilles Cohen. J’ai la faiblesse de croire aux rencontres, et ce fut une rencontre. Nous parlons du texte bien sûr. En l’écoutant je l’imagine déjà dans le rôle d’Érié. Je sens chez lui la densité et la fragilité nécessaire pour faire entendre le texte d’O’Neill. Nous décidons ensemble de nous lancer dans ce projet.


Jacques Tresse sera le gardien de nuit. C’est loin d’être un rôle de figuration, la partition du gardien comporte infiniment moins de texte, elle est faite d’écoute, mais elle est pour moi aussi importante que celle d’Érié. Les didascalies d’O’Neill décrivent avec précision ces chemins d’écoute, et ce n’est pas un hasard.

Jean-Yves Ruf

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