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Hold On

+ d'infos sur le texte de  Le Laabo
mise en scène Anne Astolfe

: Note d'intention

Dominique. Le prénom unique des téléopérateurs, homme ou femme. Première découverte et prise de conscience que la standardisation touche jusqu’à l’identité des téléopérateurs. Point de départ de notre questionnement et envie d’en savoir plus. Nous nous sommes interrogés sur l’impact que peuvent avoir, sur l’individu, cette standardisation et ces méthodes managériales que l’on nomme les nouvelles organisations du travail.


Pourquoi certains s’épanouissent-ils et d’autres en arrivent-ils à se suicider ? Comment l’ascension d’un employé et son épanouissement dans l’entreprise peuvent-ils contribuer à la destruction de l’Autre ? Le sait-il ? Peut-on mourir du travail ? Quelles formes de résistance peuvent naître face à ces méthodes ? HOLD ON pose la question des conséquences de ces formes de management en prenant comme terrain d’expérimentation les plateformes téléphoniques.


Pourquoi une plateforme téléphonique ?
Standardisation, cadence, rendement, rationalisation : on pense aux Temps Modernes, on pense aux usines, on pense aux ouvriers. Quelle différence entre les téléopérateurs et les ouvriers ? Le bureau ? Aujourd’hui, l’informatique et la téléphonie renforcent les contrôles et temporisent encore plus le travail ; la prise d’initiative personnelle est bannie et les conditions de travail se durcissent. On parle d’hyper-taylorisation du tertiaire. Les salariés, définis par les spécialistes comme "le nouveau prolétariat", sont infantilisés, mis en concurrence et isolés par un système qui prône l’individualisme au détriment du collectif. HOLD ON explore le fonctionnement des plateformes par un traitement permettant de décaler la réalité et d’en rire.


Un cadre : la plateforme téléphonique


Du commun, du standard, nous allons vers l’unique, le particulier, le sensible. Imaginons un espace épuré : un carré de 6m par 6m délimité par une ligne blanche, trois tables, trois chaises. Le spectacle est écrit sous forme de séquences, zooms, flashs, parcours croisés, alternant scènes dialoguées d’entretien, scènes chorégraphiques, monologues, scènes visuelles et silencieuses, comme si on entrait dans l’intimité d’une personne puis qu’on repartait avec tous les employés. Mais à chaque séquence, quelque chose a changé, la machine à rendement se détraque petit à petit, tout est imbriqué.


Une écriture gestuelle


Nous avons créé une phrase gestuelle (ensemble de gestes codifiés utilisés par les comédiens) représentant le travail de téléopérateur. Elle est l’architecture du spectacle. Imposée par l’entreprise, elle s’immisce peu à peu dans le quotidien. Les frontières entre l’univers du travail et la sphère privée finissent alors par se confondre. Le texte s’entremêle au geste.


Le texte de HOLD ON est écrit au plateau à partir d’improvisations. Après un travail d’enquête en immersion, lectures sur le thème et rencontres avec différents spécialistes menés par toute l’équipe, des propositions sont testées sur le plateau. L’analyse et l’observation du fonctionnement des centres d’appels permettent de dégager des incontournables tels que les scriptes, les entretiens individualisés, les challenges, les appels, les séances de "bien être", qui viendront s’entremêler à l’architecture gestuelle. Que dit-on ? A qui ? Comment ? Et pourquoi ? Quels sont les mots utilisés, répétés ? Que se cache-t-il derrière les expressions ? Il s’agit de donner à entendre les mots de la plateforme (abréviations, anglicismes, vocabulaire spécifique), de révéler la violence et l’angoisse générées par la sémantique guerrière ou sportive.


Nous nous référons à :
- LQR La propagande du quotidien d’Eric Hazan
- LTI La langue du IIIème Reich de Victor Klemperer, qui analyse la contamination de la langue allemande par l’idéologie nazie au quotidien.


Le scripte ou "argumentaire" ou encore "déballe", texte prescrit aux téléopérateurs, est la ligne que doivent garder les employés en toute circonstance. Arrivent-ils à se défendre contre ce langage standardisé ? Si oui, comment ? Par les plaisanteries ? Le cynisme? Développent-ils une virtuosité du texte à l’image de celle du geste? Trouvent-ils des espaces de liberté entre les phrases prescrites ? Peuvent-ils se défaire de ce langage imposé, de cette novlangue, une fois la journée de travail terminée, ou, telles "Les dames du téléphone" que le psychiatre Louis Le Guillant étudiait au début du XXème siècle, sont-ils surpris par les mots du scripte rejaillissant dans leur quotidien, provoquant crises de rire ou crises de nerfs ?


La lumière et le son viennent cimenter ces deux écritures.


La lumière, très découpée, avec des angles très marqués, renforce et crée cet univers aseptisé, standardisé, déshumanisé de l’open space. Elle a pour objectif de créer l’ambiguïté "lieu unique / lieu multiple", espace privé/espace public. La sensation de flottement dans l’espace, créée par la lumière, permet d’imaginer certaines scènes aussi bien en entreprise qu’au sein d’un intérieur privé. Un personnage isolé à une table est-il sur son lieu de travail, dans son foyer, ou dans les deux à la fois ? Le doute est semé. Espaces et temporalités, tout se mêle.


Le son a également un rôle déterminant. Le traitement des sonneries, des hallucinations auditives, des acouphènes, du bruit permanent de l’open space, renforce la déstructuration de l’individu. Le son révèle aussi la permanente surveillance des employés soumis à la double écoute aléatoire des managers - écoute supposée favoriser la formation et le développement du téléopérateur. La double écoute entraîne une autosurveillance du salarié que nous traiterons jusqu’aux paranoïas situationnelles, aux sensations d’être épié, à l’émergence d’angoisses nouvelles. Comme les gestes, les voix de l’entreprise envahissent la sphère privée par des boucles et des accumulations, comme pour brouiller les pistes, déformer la réalité, déconstruire le cadre.


HOLD ON montre l’absurdité de ce cadre où le sourire s’entend et la politesse s’apprend, où la surveillance remplace la compétence et la prise d’initiative, où les mots sont vidés de leur sens, où leur valeur en est détournée, et où notre pensée est inévitablement orientée et inhibée pour que les Temps Modernes envahissent les bureaux.

Anne Astolfe

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