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Fort

+ d'infos sur le texte de Catherine Anne

: L’histoire

Catherine Anne nous confie un texte sur la thématique de l’effort, une histoire contemporaine, sensible et audacieuse.
Un jeune homme, même pas trente ans, un artiste, pianiste – concertiste, revient après vingt ans d’exil sur le sol de sa terre natale pour donner un concert en plein air, sur la colline de son village bombardé par une guerre lorsqu’il était enfant.
Il ne s’attend à rien.
Du village écrasé il ne reste rien, qu’un plateau d’herbes hautes, sans ruines, sans retour.
Pour le concert, un piano quart de queue a été posé au sommet de la colline écrasée de silence.
Le jeune homme est dans une agitation tangible, décalé de tout alentour, ironique et insolent de vie.
De son pays, il ne perçoit qu’une épaisseur d’étrangeté, il ne reconnaît rien.
Seul un bout de la cloche de l’église apparaît comme une preuve à son souvenir.
Il s’adresse à un homme qui est là, silencieux, et qui occupe l’espace comme un régisseur, un gardien de chèvre ou encore, un muet. Cette présence intrigante et ce troublant silence entraînent le jeune pianiste à parler. Par bribes inattendues, par vagues et fulgurances, les souvenirs refoulés du jeune pianiste remontent et parlent , « piqués par une aiguille de phonographe » .
Le chemin surprenant et sinueux de la mémoire rompt alors le barrage des certitudes fragiles de l’artiste.
L’écriture, la parole et la structure du texte nous basculent dans l’éclatement émotionnel d’un personnage surmené, qui, poussé au déséquilibre, défaille.
Le vernis d’ironie craquelle. La mémoire remonte.
Du silence opaque de la tragédie qui renferme à jamais celle qui l’a mis au monde, se dresse le dernier soir de son enfance, d’où il fut alors arraché vers un autre monde par son père.
C’est son père qui le plonge, dès lors et sans relâche, dans la musique et le piano, l’unique lien d’avec sa mère qui lui en a enseigné tous les commencements avant la guerre.
C’est son père qui, quelques dix ans plus tard, disparaît, sans laisser trace.
Dans un flux de parole soudain et quasi ininterrompu, qui le surprend lui-même, le jeune pianiste déverse sans calcul la charge d’un chaos qui l’anime : tous ces efforts qu’il a fallu faire pour survivre et vivre.
S’arracher de sa terre, le dos brûlant tant il y avait de morts derrière. Être fort, ne jamais se plaindre, travailler.
Jouer du piano pour effacer le vacarme du passé, contre l’inconfort strident de l’exil.
Gagner sur les mots qui ne peuvent plus que chuchoter.
Répondre à un monde essoufflé par la beauté, malgré l’abandon et la solitude.
Transformer la douleur, la peine, la difficulté, la pesanteur en musique.
Soulever l’effort de vivre.
En Artiste.
Troué, accablé de questions sans réponses et dans l’effort de respirer, car parfois respirer demande un effort, le pianiste se bat avec ténacité sur le chemin d’une résilience.
Entre le désordre de sa vie et lui, l’homme silencieux est comme un rempart. Il monte la garde.
Dans son silence mystérieux, son histoire s’invente, belle et pudique et se croise avec celle du jeune pianiste.
Nous les regardons tous deux s’apprivoiser et s’inventer à leur manière un chemin, là où on aurait pu croire qu’il n’y en avait plus.
Enfin, dans la nuit, le public du concert arrive. Tout au long du parcours, le jeune homme l’a craint, dans une attitude de défense sarcastique et paranoïaque, incapable de mondanité, incapable d’héroïsme, piégé, incompris de tous et de lui-même sur cette colline qui saigne encore.
Dans la nuit pourtant, le jeune homme ose lui faire face, lui explique qu’il aurait aimé donner un concert qui les aurait transportés vers une autre face du temps, mais ses mains tremblent.
Ici, trop de chagrins, trop de vies plongées dans l’obscurité et sur lui trop de lumière. Il préfère que l’on écoute un grillon dont la vie têtue donne un récital.
Il est drôle, touchant, vrai, rapide… Fou peut-être !
Ce soir, il ne pourra jouer que ses petites pièces d’avant la catastrophe de l’enfance.
Ce soir, il veut la folie de s’envoler, de composer, d’improviser, oser être vivant.
C’est à l’autre bout de lui-même, entre délivrance et infinie solitude, que le pianiste reçoit l’adieu ultime de son père. Au piano, il joue alors dans l’aveu de sa profondeur.
« Vivre est un effort et rien n’a de sens » mais sous les étoiles, la musique s’élève comme une bannière au vent.

Pascale Daniel-Lacombe

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