:Notes de mise en scène
Un théâtre du fatal
Je veux un théâtre du fatal. Un théâtre sans autre alternative. Pas un théâtre hurlé mais un théâtre qui
fait entendre le cri. Montrer, donner à voir cette trouille silencieuse que l’on a de vouloir exister, de faire
exister. Ce théâtre du fatal, c’est ce qui doit rendre sensible, fragile, inévitable, nécessaire, teigneux, et
intime, ce cri. Nous ne le choisissons pas ce théâtre, il s’impose à nous, nous triture, nous provoque. Il
cherche à savoir, à tout prix. Il cherche sans cesse, ce théâtre, si ce qu’on hurle – ce qui bouillonne –
est juste. Ce que je veux faire sur un plateau, ce que je veux donner à voir et à entendre, c’est ce truclà,
un truc d’humain.
Trois voix, trois comédiennes
Les personnages de Faire, simples caractères typographiques, sont également trois « caractères ».
Dès la présentation, il y a quelque chose d’assez mystérieux: Times New Roman, Courier New,
Times New Roman Italique. Ces voix contradictoires et en même temps complémentaires, nous les
avons tous en nous : le courage, la lâcheté, l’entre deux.
L’axe principal de ma mise en scène a découlé de conversations avec Valérie Lang. Elle a attiré mon
attention sur la quasi absence de parole philosophique portée par des femmes au théâtre et sur
l’inféodation du personnage féminin à son statut social et relationnel : épouse soumise, mère
tyrannique… Après avoir entendu plusieurs versions de Faire avec des hommes, il m’est apparu que le
texte n’était nullement violent ou dur comme j’avais pu le penser, mais qu’il s’agissait là d’une parole de
lucidité, d’une lucidité cruelle, et qui pouvait être porté indifféremment par l’un ou l’autre sexe. Je n’ai
pas voulu faire autrement, pour défendre cette idée-là, de lucidité que de faire dire ces mots par des
femmes. Une parole forte et musclée, une parole de femme.
Trois actrices donc, mais des actrices jeunes, à l’énergie neuve, vive, impulsive. Une jeunesse
déterminée et soucieuse. Une brutalité naissante, des parcours de vies encore en formation, en
questionnement : comment être au monde ? Comment Faire ?… Séphora Haymann, Julie Fonroget et
Jana Klein possèdent ce quelque chose d’évident, cette conviction, ce sens du doute et de la peur, c’est
à dire l’énergie même de Faire. C’est ce qui me touche chez elles, et c’est pourquoi je les ai choisies.
La littérature de scène
Qu’est ce qui fait que l’écriture est nécessaire ? L’écriture de plateau ? Qu’est ce que nous pouvons
apporter ? Moi, auteur, metteur en scène ? Eux, les acteurs, les auteurs de plateau ? Regarder, dire la
pensée, vous regarder, vous écrire, écrire sur vous, regarder autour de nous, c’est ce que nous devons
faire, ce que nous devons rendre.
Et dans cette tension-là, tout est écriture. Poser l’écriture sur la page, comme la poser dans une
bouche, dans un corps. Poser le texte sur le plateau, c’est l’écrire à nouveau mais l’écrire à la scène.
En faire donc une littérature de scène.
Un théâtre du dire
J’écris de la langue, de l’oral, de l’oralité, j’écris du parlé, du causé, j’écris des voix et des corps, j’écris
du théâtre, du concret. Ça bouscule, ça dérange, ça se confronte, bref, ça travaille. Je veux un théâtre
clair qui ne laisse pas d’autre alternative, un théâtre dans lequel on s’enfonce, qui étouffe. Que ça
prenne à la gorge. Je pense à cette manière que j’ai moi, sur un plateau, en tant que régisseur, cette
manière de prendre une position claire, de porter un acte, quand un décor apparaît, il apparaît : point.
Je crois qu’il s’agit de la même chose pour l’auteur, le metteur en scène, les acteurs. Nous traitons juste
de l’humain, fabriquons de l’humanité, donnons l’illusion. Il faut faire en sorte que l’individualité serve
avec force, avec rage, qu’elle sorte les tripes sur la scène, que ça grogne, qu’on ne nous laisse pas
d’autre choix que de se prendre une gifle, que cela soit radical.
La musique
J’écris en m’accompagnant de musique. J’ai besoin du soutien d’un ou de deux morceaux dont la
musicalité et la rythmique vont correspondre et accompagner le texte que je compose. Je ne peux
concevoir mon travail, de l’écriture à la mise en scène, sans un rapport étroit à la musique, aux sons,
aux bruits que l’on va faire entendre. Ma collaboration avec Olivier Lagier sur la musique et
l’environnement sonore de Calibre 38 dernière didascalie me fit prendre conscience de l’importance de
cette pratique dans ce théâtre du dire que je souhaite défendre.
La composition et l’interprétation de Faire sera donc l’oeuvre d’Olivier Lagier, partenaire artistique fort et
central dans la continuité de mon travail ; cela concourra, ainsi que le rythme et l’avancée même du
texte, à sa mise en tension. Il y a quelque chose de sauvage et de brutal dans cet exercice-là, que je
ne peux pas dissocier de ma pratique de l’écriture, ni de ce qui m’anime comme metteur en scène.
J’aime ce métissage, cette pratique polymorphe de l’écriture, tour à tour textuelle, musicale ou
scénique. Cela participe de la même énergie, de la même recherche de ce théâtre.
Frédéric Mauvignier
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