: Présentation
Cette « enfant qui ne parle pas comme une enfant»
Ce temps d’adolescence où l’enfant et l’adulte cohabitent
Un court moment dans l’existence d’une fille jeune, juste
à ce temps de transition, ce temps d’adolescence où
l’enfant et l’adulte cohabitent, se superposent, s’observent.
Au premier abord, un moment sans importance particulière,
si ce n’est que l’enfant n’aura peut-être pas le
temps de devenir adulte. Minée par un cancer
Face de Cuillère risque de bientôt mourir et le sait, son
problème étant de s’habituer à l’inacceptable, comme
elle a dû, déjà, s’habituer à bien des difficultés.
Notamment à son visage, que les autres voient comme
un globe lisse, pareil au dos d’une cuillère. Elle s’y fait
difficilement, et bien entendu ne l’aime pas. Les “autres”
ne lui ont pas appris à s’aimer. Ni son père trop absent,
ni sa mère trop amoureuse de l’alcool, ni personne.
Tous la considèrent au mieux comme une gentille attardée,
c’est du moins ce qu’elle pense. « Maman m’a dit
qu’à ma naissance, c'était nuit noire et il pleuvait et le
tonnerre avec ça [...] mais je m’en fichais parce que
j’étais à l’hôpital et maman m’embrassait et quand elle a
regardé ma figure elle a remarqué qu’elle était toute
ronde – et tout le monde est venu me regarder la figure –
et ils ont rigolé [...] »
Cette voix qui chante la tragédie de la mort
Alors, par jeu et défi, elle se lance dans des exercices de calcul insensés, et – stupéfaction – maîtrise les nombres à l’infini. Et plutôt que de vouloir oublier son désespérant destin en cédant aux sirènes des groupes, icônes de sa génération dont les musiques sont moulinées sur toutes les ondes, sur son vieux magnéto elle écoute Maria Callas. Elle choisit de se fondre à cette voix qui a survécu, qui chante la tragédie de la mort, tout en lui offrant sa splendide sensualité.
« l’essentiel, c’est la beauté»
Pour Michel Didym, metteur en scène de Face de cuillère,
la presque enfant à laquelle Romane Bohringer
donne sa fragilité rayonnante fait le choix de l’essentiel.
« L’essentiel, c’est la beauté. C’est la beauté du chant
qui la traverse au long de son chemin vers une mort trop
tôt attendue. Qui lui enseigne une manière de sagesse.
En tout cas de lucidité, aidée en cela par une rencontre
décisive. Celle de son médecin. Il a compris qu’elle ne
supporterait pas les faux-semblants en forme de consolation.
Lui, dont la mère est morte à Auschwitz, lui a
raconté, lui a fait connaître la détresse et aussi l’espoir
du monde, la nécessité, la possibilité en n’importe quelle
circonstance, d’opter pour la dignité. »
L’élégante simplicité
d’une écriture qui crée la distance Si l’auteur de la pièce n’était Lee Hall – scénariste de Billy Elliott, le petit prolo qui au cinéma, pour échapper à un avenir médiocre, choisit le moins évident : la danse classique – on pourrait craindre le débordement mélopathétique. On en est bien loin, d’autant que le traducteur (aux éditions de l’Arche) est Fabrice Melquiot, inventeur d’un théâtre de la jeunesse qui n’a peur de rien, qui a vu naître Bouli Miro, (créé au Studio de la Comédie- Française en 2002) gamin obèse, peureux, amoureux. Alors, tout naturellement, il s’est attaché à cette « enfant qui ne parle pas comme une enfant ». Il a aimé, il a transmis l’élégante simplicité d’une écriture qui crée la distance, et au travers d’un humour sensible, éloigne le pathos.
L’ingénuité provoque le rire, le sourire
« Face de Cuillère ne parle pas comme une enfant, mais
sa voix, son regard sont ceux de l’enfance. L’ingénuité
qui transparaît dans la façon dont elle s’exprime provoque
le rire, le sourire. Elle est lucide, c’est vrai, ce qui
ne l’empêche pas de maintenir la naïveté de son âge
dans ses réactions, jusque dans les questions qu’elle se
pose, qu’elle pose.»
Le théâtre est hanté par la mort, y compris dans les
farces, parfois les comédies. Il traite rarement de la
maladie, condition plus physique, plus proche, plus difficile
à admettre. Un état de fait qui, pour Michel Didym,
peut devenir nuisible, sinon dangereux.
« Se détourner de la maladie et de la mort, en cacher
aux enfants la réalité ne sert à rien. Le travail de deuil,
fût-ce de son propre deuil est indispensable. On doit
leur apprendre à assumer ce travail, et de quelle
manière.»
Des “jeunes”, secoués, ont accepté la gravité et la douceur
Quoi qu’il en soit, vers quels publics se dirige l’histoire
de cette fillette confrontée à sa propre dégradation physique,
à son issue imminente? Pour le metteur en scène
comme pour le traducteur, la question ne se pose pas.
Tous les publics. Y compris les enfants, tout au moins les
adolescents. Une lecture en a été donnée à la Mousson
d’Hiver (manifestation initiée par Michel Didym, au cours
de laquelle sont présentés des textes inédits) et le leur a
confirmé. Il y avait là des “jeunes”. Évidemment, ils ont
été secoués, mais ne se sont pas détournés, ont accepté
la gravité et la douceur.
Michel Didym ne s’étonne pas. La pièce met en paroles
des peurs tellement naturelles, que l’on éprouve de la
difficulté à les reconnaître, à se les avouer. Et pour
Fabrice Melquiot, il s’agit là d’une allégorie sur cette
contradiction fondamentale que chacun au fond de lui
apprend dès le moment de sa naissance.
« La mort plane sur cette entreprise de démolition qu’est
la vie. Et, en contrepoint, il y a le courage de savoir s’en
moquer, de vivre debout. »
Colette Godard
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