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Entrez et fermez la porte


: Le billet de l'auteur

A 20 ans, le désir de gloire est quasi hormonal, et elles connaissent leur Histoire du Cinéma : ces hommes-là, si tu les intéresses, s’ils te demandent de gonfler un peu tes cheveux, de retoucher ton nez, de changer ton nom en doublant la première lettre, ils peuvent faire de toi une vedette internationale et, d’abord, te permettre de claquer la porte de ta chambre d’enfant.


Ce metteur en scène célèbre auquel, pour les besoins d’un casting, des jeunes filles viennent se livrer, sans conscience des dangers qu’elles encourent, est l’ogre des contes de toujours.


Il a fait signe, dans le brouillard, par une petite annonce…


Il est ce « passeur » qui guette les filles à la sortie de la maison du père, au seuil de leur vie de femme…


Il est LA solution par le haut de l’énigme qu’est leur vie sans forme, et sans direction, à cet âge douloureux qui cumule soudain toutes les questions existentielles : seins trop gros, jambes trop petites, mère énervante, père aussi, sexualité partout, avenir sombre, etc..., la solution par le bas étant parfois le suicide, autre moyen de « s’en sortir »…




L’attente, lors de ces auditions, est énorme… et le malentendu total.


De lui, elles attendent qu’il soit, au sens propre, leur « metteur en scène », sur la scène de la vie.


D’elles, en proie aux questions d’un autre âge, il attend en secret ce déclic, cette inspiration à la hauteur de sa notoriété qui devrait, au contact de leur jeunesse, le guérir d’une impuissance créatrice passagère, et le remettre en selle.
Il veut tout voir, tout savoir : leurs jambes, leurs seins, leurs problèmes, leur vie familiale et amoureuse…


Une passerelle à la fin des entretiens sera-t-elle jetée avec l’une d’entre elles ?
Un grand artiste est-il forcément toujours un grand Homme ?
Jusqu’où, au nom de l’Art et de l’oeuvre à créer, peut-on aller ?




Bien sûr, oui, je suis moi-même passée par ces états successifs, des plus fugitifs aux plus alarmants : manger trop, ne plus manger que des pommes, refuser de parler, se balancer la nuit au-dessus du vide…


Sans doute sait-on mieux aujourd’hui communiquer avec ce peuple éphémère, terreau de la société future : les adolescents.


Cependant, 45 ans plus tard, je constate que les difficultés dites « des ados » sont les mêmes, elles se présentent tout pareil qu’au temps de Rimbaud ou Villon : nous sommes tous des rescapés de cet état transitoire un peu atroce. Survivre à cette métamorphose biologique est le premier exploit après la naissance.


A 17 ans, j’ai aussi connu la haine d’être moi, l’espoir fou d’être sauvée de ma famille, lorsqu’un metteur en scène (Marcel Camus, Orfeu Negro) a surgi comme le destin pour m’offrir le premier rôle de son prochain film, puis le deuil qu’il a fallu faire, quand il n’a plus donné de nouvelles…




Les actrices, quel que soit leur âge, ont toujours l’âme de ces jeunes filles des premiers essais. Elles sont ouverture, attente, offrande, sans savoir jamais si elles seront transfigurées ou défigurées.


Ils ont tous, toujours, dit qu’ils avaient besoin, pour créer, d’être amoureux de leur actrice : Bergman, Rossellini, Vadim, Truffaut, Polanski, Blier, Brisseau, Zulawski, etc...


J’ai beaucoup étudié chez les artistes le rapport « sexualité-création » / « puissance-impuissance »…
La frontière entre l’actrice et la femme, tellement perméable, nul ne pourra jamais la définir.
Reste que Théâtre et Cinéma utilisent l’être humain comme matériau…

Marie Billetdoux

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