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Entreprise de recueillement

+ d'infos sur le texte de Hugues Chabalier
mise en scène Hugues Chabalier

: Présentation

Changer le monde, essayer, être heureux.


A la mort du père, Frédéric et sa sœur Louise transforment leur maison de famille, vert paradis de leur enfance, en refuge pour quelques uns meurtris par la vie. Dans leur pays de montagnes reculées, ils font venir trois solitudes : un ami rêveur et bohème inadapté au monde moderne, un jeune homme qui sort de prison et une prostituée qu'ils capturent sur un boulevard périphérique. Pour les sauver, leur donner une vie meilleure, essayer de changer le cours du monde. Bâtir ensemble une nouvelle Amérique.


Mais Vincent, le grand frère taciturne et ombrageux, ne croit ni bonheur ni paradis, utopie, lendemains qui chantent. Loup dans la bergerie, il combat l'idéalisme fraternel qui le révolte. Jusqu'à la catastrophe.


Et sur une lande aussi abandonnée que disponible, on voit s'affronter l'idéal et le possible, l'onirique et le réel, la révolte et le raisonnable. Ou juste quelques uns qui se débattent avec leurs désirs, leurs rêves ou leur noirceur.


Univers clos


On plonge au cœur d'une utopie. L'idéal passe des paroles aux actes. Théâtre de l'expérience, comme on peut le trouver chez Marivaux, on découvre la vie en communauté de gens qui n'auraient jamais dû se croiser. Comique de situations, révélation de natures humaines, affrontement de l'idéal avec la réalité : on assiste à l'évolution de l'entreprise comme dans un labo on observerait quelques cobayes choisis. Motif traditionnel de la représentation des utopies, l'isolement est ici enfermement. La scène est un lieu de vie, installation de leurs activités (jardin, linge, cuisine, lecture, café, repas), tout y est partagé, en commun. Prison dorée que le spectateur, témoin issu du monde extérieur, peut pénétrer.


Cependant, la pièce offre des moments plus intimes au public ; la délimitation domaine/monde extérieur s'efface et les personnages se confient, le public recueille leurs sentiments, leurs errances, leur perception de l'aventure, tour à tour témoin et confident.


Retour à l'Eden


L'idéal en œuvre est cousin du retour à la nature, de l'abandon des villes pour une campagne "terre promise", possible retour vers l'Eden perdu... La nature apparaît dans leurs mots et la scène est un paysage habité : un grand cercle de terre où se trouvent les éléments d'une vie collective. La scène est installation ; une présence humaine au cœur de la nature, à l'image du Land Art ou des propositions architecturales d'Hundertwasser. Le cercle est la figure géométrique parfaite, idéale (cf les réalisations utopiques au cours des âges) on voit comment, lentement, par à-coups, l'agitation humaine trouble cela et finit par anéantir le projet utopique. Lieu troublé également par l'évocation du monde extérieur, sous la forme de médias intrusifs (journaux, radio : images et informations par opposition à un lieu axé sur la parole directe). Ainsi apparaît une confrontation concrète entre leur idéal et la réalité du monde. On songe au film Baraka, où nait une tension entre la Nature et la construction/destruction humaine.


Une terre d'affrontements


Outre cette opposition : conflits entre les personnages aux caractères puissants et sauvages, rapports de force, combat d'idées. On s'interroge sur la place de l'idéal dans nos sociétés contemporaines avec une utopie qui se construit, réussit presque et s'efface. Mais l'idée d'un bonheur par décret, quasi contraint et forcé rend compte de l'aspect totalitaire d'un idéal certes généreux mais excessif. Loin d'être instrument de propagande, la pièce montre avant tout les espoirs, les doutes, les joies, les amertumes qu'un homme rencontre vis à vis de ses idéaux... On peut également voir leur groupe comme un modèle réduit de la société. Des liens se tissent avec notre actualité brûlante et notre société occidentale des années 2010. Et cela sans regard cynique ni moralisateur.


Lyrismes


Les personnages parlent grâce à leurs rêves, leurs désirs, leur noirceur. On a un lyrisme profond, concret, direct. Pas un déluge de sentiments mais l'expression des mondes intimes. Jeu sensible, lâcher-prise, générosité sans emphase, et dans la durée du spectacle - aventure humaine entre le public et les sept personnages - on suit le cheminement de chacun d'entre eux.
Leur poursuite accidentée d'une vie idéale est propice à la construction sur scène d'un paysage de sentiments : mélancolie existentielle, enthousiasme de l'utopie, douleur des évènements de la vie, possibilité de temps heureux en commun, retour vers l'enfance, abandon ou sauvagerie dès que l'échec apparaît...


Persistances


Les personnages d'Entreprise sont englués dans leur passé : ils rêvent de prolonger ad vitam leur Eden originel que fut une enfance sans soucis et d'y inclure dorénavant d'autres gens. Certains restent bloqués dans un passé dont ils n'arrivent pas à se défaire pour vivre. Même l'idéal qui motive l'entreprise semble surgir du passé : phalanstères, communautés des 70's et autres tentatives libertaires, ou rêve américain hérité des siècles passés. La jeune génération est-elle vraiment sans idéal, paralysée par le pessimisme, sans espoir de changement? La pièce questionne la nature même du changement : Peut-on changer le monde en restant tels que nous sommes? Pour changer le monde faut-il faire changer les autres? Peut-on s'améliorer, se changer, devenir meilleurs? Et selon quels critères?


Réalisme / Onirisme


Étymologiquement, "utopie" est le lieu qui n'existe pas. Entreprise est à la fois la représentation concrète d'une utopie en construction et la suggestion d'une rêverie généralisée, conséquence d'une écriture du désir, charnelle, lyrique. La tension entre le réalisme des situations et l'onirisme, l'incertain, le ouateux structure la pièce. La musique relève également de cette dualité : sons naturels et sons travaillés, teintés de reprises de musiques anciennes (rock, punk, psychédélique, représentatifs de l'époque des aventures communautaires).
Leur aventure gomme le travail, qu'elle remplace par de saines occupations, souhaite l'anéantissement des souffrances, érige le sommeil, le calme, la vacance en règle de vie. On est sous le règne de la nuit, du repos semblable à celui des cimetières, de la rêverie, du recueillement, de la divagation. On songe aux paysages-symboles de Caspar David Friedrich. Entreprise est une réalité qui n'existe pas.


Point de rencontre de sept humanités différentes, lieu de l'hétéroclite et de la confrontation, Entreprise est soumise aux tensions entre l'amitié et la sauvagerie, l'humour et le tragique, l'enthousiasme et le désespoir, le rêve et la réalité, l'ancien et le contemporain, l'action et l'abandon.
De façon à être un spectacle entier, cherchant à décrire la misère humaine comme l'aspiration à décrocher les étoiles.
Décrire la vie, tout simplement.

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