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Accueil de « Enjambe Charles »

: Note d'intention

« On reste trop souvent évasif quant aux termes qui permettraient de cerner les lois de l’inspiration spontanée.
Et il y a de quoi !
« Formidaaaable… »
Même en voiture on peut lever un toast aux affres de la sensibilité en trinquant avec des verres remplis à ras-bord du calice de la honte.
Le grand maître de cette messe noire ne porte pas de toge ni de chasuble brodée. C’est en complet-veston ajusté qu’il psalmodie son obsession de la mélopée mortelle et de la passion agacée. On est sous le coup d’Aznavour. A ce moment précis un dérivé de séance de « Burn out » démarre pour Stéphane Roger et Sophie Perez. Ils sont possédés : prognates, les mâchoires serrées entrent en trance et leurs lèvres tiraillées entre la méchanceté et les bons sentiments ne laissent plus passer que des hurlements de gorges : « Sheeeeeee… »
Sur le mode de l’imitation de bordure, ils empoignent la vraisemblance pour lancer un défi à la vénération, à la beauté, à la panique, à la colère, au malaise et à la nuance. L’assurance d’Aznavour devient un air qui les sâoulent : une émotion qui fait ressortir le côté dégueulasse des choses.
« Je m’voyais déjà ! » à fond la caisse.
« Quiiiiiiiiii !… » à fond la caisse.
« Dans le petit bois de trousse chemise ! » à fond la caisse.
« Mes emmerdes ! » à fond la caisse.
Perez lâche le volant alors que Roger est à genoux sur la banquette. Ils s’acharnent à tenter un suicide collectif par le rire. Après avoir remonté tous les grands boulevards, même l’accalmie qui réussi, bon-en mal-en, à s’installer reste monstrueuse. La dysfonction des origines laisse songeur.
Et Stéphane Roger concède :
« Quand j’écoute Aznavour, j’ai l’impression d’être vieux…
- Ben moi, c’est quand je regarde une poterie… »
Plus personne ne parle ouvertement de poterie, « et pourtant, et pourtant » comme dirait Charles. L’art de la poterie apparaît pour ceux qui l’auraient oublié comme un art majeur qui fût trop longtemps cantonné au rang des arts utilitaires. De véritables objets de transmission : vasques, jarres, vases, bols, signés et datés estampillés ou décorés, ça raconte de l’histoire. Des cruches grecques au ramequin Cyclope de Cocteau en passant par les porcelaines de la Pompadour, il semble que nous entrons dans un monde où l’archaïsme et l’authentique, la création et l’imitation se révèlent d’une manière indiscernable. Quand on pense que plus le trou est profond plus la matière monte, on peut alors envisager cette discipline comme un terrain d’expérimentation métaphysique et trivial.
Nous voilà donc dans un univers où cohabitent le meilleur et le pire, où les jugements de valeur et les logiques qu’ils impliquent, coexistent dans une rivalité insurmontable.
L’authentique et le dérisoire se mêlent à tout et les codes enchevêtrés conduisent à s’interroger sur la réalité de cet imaginaire collectif qui charrie l’or et la boue.
Alors, que le meilleur gagne !
Arbitre désigné pour la partie : Louise Bourgeois. La vieille, l’acharnée, l’incontournable sculpteur.
Depuis la mort de son mari, Louise Bourgeois reçoit chaque dimanche dans la pièce la plus sale de son hôtel particulier de Chelsea en plein coeur de New York. Une quinzaine d’artistes inconnus et volontaires viennent des quatre coins du monde lui rendre visite. Assis en rang d’oignon ils montrent tour à tour leurs productions, en attendant l’avis fatidique de la patronne.
Cette dernière accrochée à son déambulateur n’épargne personne. Il paraît même que certains artistes soient rentrés chez eux en pleurant, leur toile abstraite pliée en dix au fond d’un sac à dos.
Qu’en sera-t-il de son jugement absolu face aux poteries que nous réaliseront à Vallauris, ou devant la poupée de ventriloque à l’effigie de Charles Aznavour ?
Rendez-vous pris ! »

Sophie Perez, Xavier Boussiron

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