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En attendant la grippe aviaire (fin de la société de consolation)

+ d'infos sur le texte de Antoine Jaccoud
mise en scène Antoine Jaccoud

: Présentation

LE SPECTACLE EN BREF...


Qui mourra durant la pandémie ? Les cartes Cumulus seront-elles encore valables durant la pandémie ? Les expulsions d’étrangers en situation illégale continueront-elles durant la pandémie ? Dieu nous sauvera-t-il de la pandémie ? Où irons-nous promener nos chiens durant la pandémie ? Commémorerons-nous la pandémie après la pandémie ? Élirons-nous une Miss Pandémie ? Qui profitera de la pandémie ? Les oiseaux inspireront-ils encore les poètes durant la pandémie?


Et si la perspective de la grippe aviaire était d’abord l’occasion de rire un instant de tous ces idéaux de mobilité, d'hédonisme et de culte de soi qu'une pandémie de cette ampleur ne manquerait pas, si elle devait survenir avec la virulence que craignent les experts, de balayer comme une plume de poulet ? Farce tragique, En attendant la grippe aviaire nous montre un couple normalement narcissique aux prises avec la catastrophe. Amis disparus, pénuries alimentaires, petits week-ends à l'étranger renvoyés aux calendes grecques, les deux personnages sont soumis à rude épreuve. Antoine Jaccoud met l’effroi à distance, tout en le regardant dans les yeux, et propose une perception ironique de nos fragiles destinées et de nos dérisoires ambitions.




NOTE D’INTENTION


« Une farce. Une farce noire. Comme On liquide, ma pièce consacrée au déclin de la paysannerie, que le metteur en scène lausannois Denis Maillefer mit en scène il y a une année, mais en plus radical, en plus grinçant, en plus noir. Tel est mon projet.


Je vivais jusque-là dans une société généralement considérée comme sûre, efficiente et affranchie des conflits et fléaux qui frappent la plupart des pays de la planète. La voici peut-être menacée par une pandémie qui pourrait faire des dizaines voire des centaines de millions de victimes dans le monde (et j’omets ici à dessein les prévisions de ce virologue russe membre de l’Académie qui articule le chiffre d’un milliard de morts! ). Je vivais dans une société massivement tournée vers l’hédonisme, l’individualisme, le narcissisme, l’érotisation effrénée des styles et des comportements. Voici qu’elle pourrait avoir à se préparer (cela concerne déjà le personnel médical, je suis bien informé) aux mesures de quarantaine, aux tris préventifs, à la restriction de la liberté de circuler, à l’effroi, au pire.


Je suis forcé de réagir, d’anticiper, d’imaginer. Je suis auteur dramatique (et je suis père). Je choisis d’en rire.


« En face, le pire, jusqu’à ce qu’il fasse rire». Beckett .


Mais cette menace d’une catastrophe sanitaire mondiale n’est peut-être pas mon unique source d’inspiration, ni mon seul souci. Ce projet part d’un constat plus général, plus profond peut-être, plus troublant aussi:


Il me paraît que nous sommes chaque jour arrosés, écrasés, assommés par une extraordinaire abondance de mauvaises, ou très mauvaises, nouvelles. Et il me paraît non moins flagrant que nous sommes chaque jour sommés d’avoir peur…


Disparitions accélérées des espèces végétales et animales, élévation continue des valeurs de pollution, effets croissants du réchauffement climatique sur les conditions d’existence engendrant de très funestes prévisions à l’horizon 2030 ou 2050… Mais aussi: peur de l’obésité qui raccourcira la vie (« ces enfants qui mourront avant leurs parents », titre la presse, comme s’il fallait effrayer encore les adolescents en surpoids), peur du tabagisme actif et passif, peur de l’ours et du loup, peur du Hamas ou du Hezbollah, il n’est pas un jour qui passe sans que nous apprenions que le pire est à venir, sans que résonne quelques musiques apocalyptiques, sans que prévisions et prophéties unissent leurs voix pour nous promettre de noirs lendemains, et nous enjoindre à trembler.


Il n’est pas le lieu ici de discuter si le monde va mieux ou moins bien qu’avant. Une chose semble certaine toutefois: nous baignons tous et toutes dans une sorte d’atmosphère anxiogène et pré-apocalyptique dont les noirs coloris semblent chaque jour gagner en intensité. Mais les prophéties des nouvelles Cassandre influencent-elles nos comportements ? En apparence, nullement. Et je vois bien là un inspirant matériau pour le théâtre. Chacun semble s’accommoder des plus funestes prévisions pour ne rien changer à ses projets de divertissement voire à différer son désir de tirer profit, l’espace d’un week-end, des prix imbattables des compagnies aériennes low cost. Le philosophe allemand Peter Sloterdijk parle d’une « party de suicidaires » pour décrire les moeurs de ses contemporains. Je trouve la formule aussi forte que stimulante.


Un autre élément nourrit mon texte et mon spectacle, auquel j’ai fait brièvement allusion plus haut... Tous les experts –toujours eux ! on en parlera dans la pièce- semblent être d’accord sur ce point. Si une pandémie survient (et ils nous assurent qu’elle surviendra), alors la solidarité entre les nations, les peuples et les individus constituera un barrage au moins aussi efficace que le Tamiflu, -ou un vaccin inexistant à ce jour- à la maladie et aux catastrophes sanitaires, sociales et économiques qui pourront en découler. Nous sommes à mon avis, hélas, dans une société puissamment « individualonarcissique » dont les ressources en solidarité me paraissent s’amenuiser chaque jour. Haine croissante de l’impôt, refus de « payer pour les autres », dilution des dispositifs moraux traditionnels, voilà ce qui caractérise nos sociétés occidentales. Comment une telle civilisation peut-elle faire face à la maladie, aux dispositifs sanitaires contraignants qui pourraient être mis en place, aux deuils collectifs ? Ces questions hantent mon texte et nourrissent son ironie (politesse du désespoir !). Elles donneront sa profondeur thématique, c’est mon intention, à mon spectacle.


Il fallait enfin comme une dimension poétique à cette crise pour justifier totalement le bien-fondé de ce projet. Le caractère aviaire de cette grippe me le fournit de paradoxale manière. L’oiseau fut longtemps l’ami des poètes (et la cigogne l’ange gardien des nouveaux-nés !). Il pourrait être aujourd’hui son pire ennemi, son bourreau, son assassin. Je ne pouvais rester aveugle et sourd (car les oiseaux chantent) à cette soudaine inversion des signes, et à son potentiel dramatique, ainsi qu’esthétique. Il y aura donc des chants d’oiseaux -et quelques unes de ces chansons si souvent mièvres qui évoquent cet animal- dans En attendant la grippe aviaire.


On aura relevé enfin ce sous-titre : « fin de la société de consolation ». La formule s’est imposée aux sociologues pour décrire cette ruée des acteurs de la société de consommation vers l’électronique de divertissement, envisagée sous l’angle de ses vertus d’antidépresseurs. Je veux parier ici que, grippe aviaire ou pas, la consommation de DVD et de Play Station ne pourra plus nous consoler très longtemps et je voudrais que cette pièce en atteste…


Même si, j’assume ce paradoxe, je souhaite également que ce spectacle puisse, en dernière instance, consoler aussi en proposant sans cesse une perception ironique et ludique de nos fragiles destinées et nos dérisoires ambitions… »




INTENTIONS ARTISTISTIQUES


« Tout ce que j’ai écrit jusqu’à ce jour pour le théâtre était hanté par la maladie et la mort, et tendait à associer la sexualité de façon presque naturelle à ses deux instances. Il n’en sera évidemment pas autrement ici. Mais tout ce que j’ai produit était également marqué par l’ironie et une certaine tendance à décrire sous un jour grotesque les pratiques et les travers de mes semblables. Je reconduirai cette manière de faire et de dire ici. Et parce qu’ actors like to act, je leur donnerai à faire : une virée (en chambre, bien sûr) de Nordic Walking, un coup de téléphone désespéré à l’opérateur téléphonique qui les a abandonnés depuis longtemps pour cause de non-payement... Cette matérialité physique, concrète et triviale posée, je pourrai créer autour d’elle le contexte anxiogène et alarmiste dans lequel baignent aujourd’hui nos petites ou grandes « parties de suicidaires ». Le flux des mauvaises nouvelles sera permanent et suivra une progression dramatique, le couple tentera d’y opposer son indifférence et la certitude de la légitimité de ses expériences du monde : la glisse, la consommation avide de biens culturels, la recherche de l’innovation dans la vie sexuelle… Il en ira ainsi jusqu’au choc final : quelle attitude devant la pandémie déclarée ? Quelles ressources spirituelles devant l’effroi ? quelle activité quand l’action n’est plus possible ?


On l’aura compris. Je veux jouer les contrastes, les oppositions, l’effrayante et grotesque dialectique des petits plaisirs et des grandes angoisses, de l’immédiat et de la prévision, du présent et du futur, de l’insouciance et de la prévoyance. » Antoine Jaccoud. Janvier 2006

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