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En attendant Godot

+ d'infos sur le texte de Samuel Beckett
mise en scène Laurent Fréchuret

: Note d’intention

Vivre et inventer


Il est toujours urgent et rassérénant, de faire entendre, de se faire surprendre par l’actualité et l’éternité d’un chef d’oeuvre. Celui qu’on classait au XXème siècle dans le Théâtre de l’absurde, me semble une haute entreprise de l’art et de la raison mis en regard avec l’absurde de notre monde en crise, et du grand marché consumériste qui, lui, n’attend rien, pour noyer toute tentative de dialogue humain. En attendant Godot tourne le dos à la diversion, au renoncement, pour aborder joyeusement l’essentiel.


Attendre… Esperar…


L’homme attend quoi ? Peu importe finalement, que ce soit du travail, l’amour, le grand Jour, un passeport, le Paradis, un repas, la mort, une paire de chaussures. L’homme a mille raisons d’attendre. Ce qui est troublant – splendide mystère humain – c’est sa force, sa pulsion de vie, sa capacité à attendre, à espérer, à inventer. Cette énergie – parfois inquiète et torturée – mais, osons le dire, cette joie de durer.
Les raisons d’attendre, le désir, la folie ou le bonheur d’attendre sont plus intéressants à définir, à interroger que l’identité de Godot (identité sciemment cryptée par l’auteur pour déployer ses possibles - « Du reste il existe une rue Godot, un coureur cycliste appelé Godot ; comme vous voyez les possibilités sont presque infinies » répondit l’auteur.).
Et nous qu’attendons-nous ? Quel est ce fol espoir qui nous tient debout dans la catastrophe ?
Je vois dans Godot, en l’attendant, une tentative de définir l’humain – un combat contre l’absurde, une entreprise délicate et héroïque de civilisation, de civilité. Une oeuvre dramatique existentielle, mais aussi l’oeuvre engagée d’un auteur politique. Des ruines de l’après guerre aux crises d’aujourd’hui, Godot est la tentative toujours recommencée de ne jamais renoncer au nom d’humain.


Maintenant je vais jouer


Attendre à deux, c’est commencer à jouer, en attendant…
Vladimir et Estragon nous font face et interroge l’homme, à la manière de deux enfants, de deux exilés au monde, et font apparaître – en attendant… - un nouveau monde avec de nouveaux mots, de nouveaux jeux.
Comme chez les aînés Chaplin et Keaton, c’est l’invitation à une ballade burlesque sur le chemin d’un temps et d’un espace tout relatifs, la jubilation d’un dialogue socratique sur le terrain vague, un duo, un duel de clown, un ping-pong de mots, une étreinte mêlant les coups et la tendresse propres aux vieux couples. Avec la mémoire et la musique des compères au long cours, les mots et les corps vagabonds se rapprochent, se chamaillent, s’attrapent, s’engueulent, ne se lâchent plus, se disent adieu et ne se quittent jamais…solitaires, solidaires…


Le tragique est un carburant, un ressort. « Rien n’est plus drôle que le malheur ». On aborde le désespoir, on se penche au bord du gouffre, et on finit toujours ici par se pendre…au cou de l’autre. La quête philosophique débouche sur un besoin fou de chaleur humaine. La noirceur apparente de la situation débouche sur une lumière inattendue.


Attendre à quatre, et c’est déjà l’humanité toute entière…
Les visiteurs Pozzo et Lucky semblent des représentants de l’ancien monde, les rescapés d’un autre temps, ou bien les éternels dominant/dominés et leur perpétuel cirque tragicomique. Le silence, la présence de Lucky comme une question au monde, sa parole subite comme un fleuve asséché qui resurgit et déborde de tous les côtés, de toutes ses pensées en lambeaux, vieux mots vidés de leurs sens, machine au bord de l’explosion ou bien urgence de renaître, nouvelle musique à inventer ?


Ecce homo, c’est le jeu des enfants…en attendant d’être grands.
Comme chez le maître Shakespeare, Tragédie et Comédie se sont retrouvées, et on s’inquiète, et on rit, de la cruauté, de la sauvagerie des rapports humains, et on s’étonne du plaisir fou de se parler, de se retrouver.


Samuel Beckett a déposé une charge qui n’en finit pas d’exploser.


Beckett, auteur politique, quoi qu’on ait dit, relie les étoiles et les navets, il invite le philosophe, le clown et le spectateur à la même table pour résister par le plaisir.


Il faut continuer. Je ne peux pas continuer. Je vais continuer.


La manière avec laquelle nous souhaitons porter cette oeuvre à la scène est simple et radicale. Il s’agira d’être les lecteurs passionnés, les interprètes têtus d’une géniale symphonie, les arpenteurs d’une partition dramatique totale. Le texte, la ponctuation, les didascalies sont les balises d’un slalom de la parole et du jeu, ceux-ci appelant l’espace juste, l’espace et la lumière entrant en vibration avec la situation. Cette histoire-là m’apparait fluide et directe, rythmée, proche d’un réalisme visité par l’expressionnisme (c’est à dire d’une poésie concrète). On pourrait parler de jouer le « tonus d’attendre », investir, incarner…une attente pleine de vie ! Honni soit qui symbole y voit, attendre est organique.
La distribution est le premier acte fort de la mise en scène. Je convoquerai un quatuor d’acteurs (cinq avec l’enfant qui vient à la fin de chaque acte) talentueux, engagés et partageurs. Des athlètes du verbe, des acteurs habités par la présence, prompts à restituer la dimension concrète, humaine, et en même temps l’étrangeté, la densité propre aux personnages et aux situations inventées par Beckett. Jean-Claude Bolle-Reddat et Vincent Schmitt sont les premiers complices fidèles de notre distribution en cours.


Explorer aujourd’hui cette formidable machine à jouer, c’est affirmer le désir d’ouvrir le maximum de niveaux de lecture de cette oeuvre rayonnante, en permettant à tous, futurs spectateurs, d’être des partenaires actifs et enchantés de l’oeuvre, du voyage.
Je me souviens de ces paroles dans une chanson de Léo Ferré : Les gens il conviendrait de ne les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit, avec des problèmes d’hommes, simplement, des problèmes de mélancolie… et de cette réponse de Bram Van Velde à qui l’on demandait la raison des coulées de peintures sur certains de ses tableaux « - Mais… la vie coule ! »


Ce qui me fascine avec le théâtre c’est effectivement de pouvoir réunir dans un même élan le savant et le populaire, et d’affirmer, des premières répétitions aux dernières représentations le désir de travailler à ouvrir ensemble, et à offrir à tous l’oeuvre la plus exigeante, comme objet sensible élargissant la perception et éveillant la pensée. Et tout cela dans la plus grande joie d’être.


Attendre quelque chose ensemble.

Laurent Fréchuret

avril 2014

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