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Dialogue d'exilés

mise en scène Olivier Mellor

: Présentation

Ecrite lors de son exil New-Yorkais (il ne faisait pas bon être un homme de théâtre de gauche sous Hitler ou presque…), Brecht n’a jamais monté cette pièce.


Dans une ambiance de salon, détendue et nocturne, elle convie deux personnages, Kalle et Ziffel, autour de quelques bières au buffet de la gare d’une capitale indéterminée… La pièce est constituée de chapitres, qui peuvent être joués seuls, indépendamment des uns et des autres. Ce système narratif qui dénote dans toute l’oeuvre de Brecht, est avant tout un moyen de toucher le « tout-public ». Il permet, comme en peinture, de poser plusieurs couches successives, pour préciser de plus en plus le trait et figurer au détail près la construction du récit, comme un précis de dialectique, un exercice de style.


Ziffel et Kalle, nos deux protagonistes, ne sont alors que des pinceaux (un poil souple et épais pour Ziffel le physicien, l’intellectuel; un autre plus fin et plus dur pour Kalle, l’ouvrier, l’homme du peuple).


« C’est de la pure dialectique, on définit, on sépare, on ne parle que de ce que l’autre admet, on construit une nouvelle définition qui devient un instrument de travail sur soi et sur le monde. » Bertolt Brecht


C’est l’histoire de deux mecs…


Nous sommes au buffet de la gare, lieu de départ, lieu indéterminé d’une capitale européenne. Deux hommes en exil, plutôt supportés qu’accueillis, plutôt pourchassés que fuyards, se racontent et disent ce monde qui les entoure.
Tous les deux au comptoir, en vidant quelques chopes, en fumant quelques cigarettes, Kalle et Ziffel font un peu le bilan de leur vie, de leurs expériences, et nous renvoient notre propre image.
Bien entendu il y a du Brecht à chaque instant, dans l’un et l’autre, comme une parodie de lui-même, et il y a quelques salves politiques et savoureuses.
C’est drôle, c’est tendre et c’est dur l’instant d’après.


Le procédé qui consiste à faire dialoguer deux anonymes, deux représentants d’un même peuple, d’une même humanité, tend à faire dialoguer le spectateur avec lui-même, Ziffel devenant Kalle et inversement, et si souvent, qu’on ne sait plus qui est qui, et finalement on se demande s’il n’y a pas qu’une seule et même personne derrière tout ça : Brecht lui-même. Il y a là tout le génie de l’auteur sur l’Auteur, et à l’intérieur d’un dialogue à première vue banal et anecdotique, tout le Théâtre.


Le buffet de cette gare devient dès lors un lieu indéterminé, no man’s land improbable aux allures de Paradis, car sécurisé et ouvert en même temps sur d’impossibles voyages. On y vient discourir sans craindre les foudres d’un monde en flammes. De loin on juge, on observe, on critique, on sourit. Ces brèves de comptoir deviennent autant de sentences et de définitions du monde qui s’écroule. Prophètes du quotidien, Kalle et Ziffel sont deux personnages attachants, tellement proches et pourtant irréels.
Si proches qu’on ne pleure pas avec eux sur leur Paradis Perdu, ce qu’ils ont fait ou pas. On s’interroge plutôt sur notre propre parcours. Kalle et Ziffel ne sont pas des héros, ce ne sont pas des personnages, ils n’en ont pas besoin.


Qui sont-ils ?


« Ziffel (c’est son nom) se présente comme physicien et intellectuel (c’est à dire qu’il dépasse sa sphère de connaissances professionnelles) mais aussi comme quelqu’un d’insignifiant (mais pas n’importe qui) en précisant que cette insignifiance est due à cette nouvelle ère des héros. Il est en quelque sorte sûr de lui intellectuellement voire imbu surtout lorsqu’il tombe sur un « manuel », mais il n’est pas rassuré du tout et c’est la faute des autres. (…) Kalle (diminutif de Karl-Heinz Kalle est aussi le premier prénom du valet de Puntilla) est un ouvrier autodidacte passé par toutes les formes de luttes sociales et politiques, d’où son internement. Il se sait dominé socialement sinon inférieur et s’en tire par un réalisme moqueur. On veut l’ouvrier idéaliste, lui vous renvoie à la réalité d’une entreprise…capitaliste. Ce qu’il sait des théories ou des outils intellectuels c’est ce que dans les mouvements les cadres ont bien voulu lui apprendre. Son problème serait surtout que ces théories qu’il n’a qu’entre aperçu n’ont pas l’air d’avoir les avantages ni les performances annoncés. »
Bertolt Brecht


La construction de DIALOGUES D’EXILÉS exploite au mieux la radicalité qui existe entre ces deux personnes. Ziffel le social-démocrate et Kalle le communiste ? Pas si simple. Cette opposition première sert de fil didactique à la pièce, mais les personnages s’en écartent souvent pour mieux nous balader : quand Kalle narre des histoires triviales, c’est pour mieux enluminer les Mémoires que rédige son ami Ziffel.
Il est son illustrateur, mais aussi son inspirateur, son correcteur, son premier lecteur.


Au fur et à mesure, les histoires de Kalle se feront plus mordantes et lui permettront, à lui dont la notion de culture semble, socialement, rimer avec encyclopédie, de comprendre que son expérience, en fait, il l’a déjà théorisée. Il va amener petit à petit son ami Ziffel à inverser les rôles. On le voit par exemple sur le rapport au confort et à l’argent. Kalle va démonter les contradictions de Ziffel « petit bourgeois plein de bonne volonté pour faire que ça change » mais englué dans des théories et des gênes de petit-bourgeois. Sa supériorité est historique.


C’est sur cette spirale que tourne la pièce, imbriquant étroitement, par la technique du dialogue, et la réflexion sur le monde et la réflexion sur soi. L’une ne peut exister sans l’autre soutient ici Brecht et, ajoute-il, « la révolution sociale ne saurait se faire dans la nécessité matérielle et dans la misère intellectuelle ».


En emmenant DIALOGUES D’EXILÉS sur les routes de Picardie, il s’agit avant tout de rendre compte de l’excellence de l’écriture de Brecht, qui avant beaucoup d’autres auteurs avait saisi toute la quotidienneté qui doit intervenir pour toucher le public. Ici pas d’esbroufe, pas de décor ou presque, deux acteurs, un musicien, un technicien, un camion et c’est parti.
Nous allons faire voyager Kalle et Ziffel, les sortir de leur prison dorée, de ce buffet de la gare où ils errent, chaque jour un peu plus. En leur faisant prendre l’air, dans une salle des fêtes, un bar, une bibliothèque, nous dirons du mieux possible pourquoi nous nous sentons si proches, tous ensemble, de ces deux compères.
Il y aura un comptoir, quelques chopines et quelques chansons, de la bonne humeur et la désespérance joyeuse qui fait de Brecht un auteur éternel et rare.
Il y aura aussi et dans la continuité cette volonté qui nous est propre d’avoir à la fois l’honneur et la joie de travailler sur le sens de nos métiers, aux côtés de la Comédie de Picardie.


En offrant une tournée à Ziffel et Kalle, c’est un hommage appuyé aux discussions de bar, de la rue, que nous voulons rendre. Dans une proximité réelle et non feinte du public, au coeur des villages que nos deux piliers de comptoir n’auront jamais vu. Et pour cause, ils n’existent pas ailleurs que dans cet exercice de style, ce bilan caustique d’un monde qui fout le camp, et qui n’en a pas fini avec les paradoxes, les injustices et les guerres, fussent-elles même de clochers…
Il faut jouer DIALOGUES D’EXILÉS, tout ou en partie, dans le sens qu’on veut. Sinon, que restera-t-il de Kalle et Ziffel, sinon l’impression de déjà-vu et une étrange ressemblance avec le voisin du dessous à qui on ne parle jamais ?

Olivier Mellor

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