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Des biens et des personnes

+ d'infos sur le texte de Marc Dugowson
mise en scène Pierre Pradinas

: Entretien croisé : Pierre Pradinas & Marc Dugowson

Propos recueillis par Gabor Rassov en novembre 2012

Nous nous sommes retrouvés avec Marc Dugowson et Pierre Pradinas dans un café, au Cadran, à côté du théâtre de la Pépinière avant une représentation d’Embrassons-nous Folleville! pour parler de la pièce de Marc Dugowson que Pierre Pradinas va mettre en scène.

Gabor Rassov : Quand as-tu écrit Des biens et des personnes ?


Marc Dugowson : Je l’ai écrite en 1996. Avant Un siècle d’industrie donc. Sur à peu près le même type de déclencheur externe. Quelque chose que j’ai entendu qui m’a marqué. J’espère que la pièce est un imprimé de ce choc initial, émotionnel.


GR : Et quel est ce déclencheur ?


MD : La première revendication officielle en demande de restitution des biens des Juifs spoliés pendant la guerre. Elle s’est faite concomitamment avec les recherches des historiens sur le processus de spoliation et l’implication des institutions publiques (Trésor public et Caisse des Dépôts et Consignations) et bancaires de cette époque.
Cette première revendication des victimes ou des ayants droits à recouvrer des biens spoliés a eu lieu avant la reconnaissance par le président Jacques Chirac de la responsabilité de l’État français. Il y a eu ensuite la mise en place de la commission Mattéoli par Lionel Jospin alors Premier Ministre. Commission qui a été chargée de déterminer l’étendue des spoliations et de préparer l’examen des demandes de restitution au cas par cas, que ce soit pour un appartement, une entreprise, un tableau ou une machine à coudre.


Pierre Pradinas : Oui, avant c’était un tabou au nom de la sacro sainte unité nationale, et puis la France voulait se ranger au mieux du côté des vainqueurs, au pire du côté des victimes.


MD : L’autre élément déclencheur a été un débat avec des historiens auquel j’ai participé en 1994. Au cours de ce débat, une dame s’est levée et nous a raconté que c’est durant cette période de la guerre qu’elle a découvert qu’elle était Juive au regard des lois promulguées par le gouvernement de Vichy (comme c’est le cas pour le personnage central de ma pièce). Elle ignorait complètement qu’elle avait des ascendants juifs, personne ne le lui avait dit, c’était un secret de famille. J’ai été très touché par ce témoignage. La conjonction de la promulgation de ces lois iniques et la révélation de ce secret de famille avait plongé du jour au lendemain cette femme dans une situation terrifiante.


GR : Comment as-tu fait pour rendre aussi limpide la complexité juridique des lois qui ont permis la spoliation des biens des Juifs à cette époque ?


MD : Je suis tout simplement retourné à la fac de droit. Pour pouvoir rendre digeste cet aspect essentiel de la pièce, j’avais besoin de comprendre les principes généraux du droit privé et commercial, les procédures juridiques, les lois et règlements de l’époque et d’acquérir un langage propre à cette matière, dans le but bien évidemment de le mettre à la portée de tout le monde. J’ai étudié des cas de jurisprudence, notamment autour de l’histoire de désaveu de paternité qui est également central dans la pièce.
Mais l’essentiel se joue au niveau de l’intime. Comment, à partir de cette situation les relations familiales se tissent, se rejouent avec de nouvelles données qui chamboulent tout et font résonner différemment les rapports entre chacun.
Je voulais à la fois écrire l’histoire d’une famille et celle d’une entreprise, les deux étant intimement liées.


GR : Quel lien fais tu avec ton autre pièce qui traite de cette époque et qui a été aussi créée au Théâtre de l’Union Un siècle d’industrie ?


MD : Des biens et des personnes et Un siècle d’industrie sont pour moi les deux premiers volets d’un triptyque, dont le troisième est en réflexion et dont l’administration sera le thème central. Donc la famille, l’industrie et l’administration.
La France a été à la fois un des pays où les juifs ont été les plus préservés grâce à l’aide et au grand courage d’une partie de la population, et aussi celui parmi les pays occupés qui a été en pointe dans la collaboration politique et institutionnelle. Avec, jusqu’à Jacques Chirac, une volonté de le dissimuler. Peut-être parce que jusque là tous les gouvernants appartenaient à des générations qui avaient vécu la guerre.


PP : C’est aussi un rapport très français à l’histoire. On est les rois du déni. On a eu la même attitude avec l’affaire Dreyfus, la guerre 14-18 -n’oublions pas qu’un film comme Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrik qui traite des mutineries de 1917 a été longtemps censuré- le colonialisme, la guerre d’Algérie, etc...


GR : Ta pièce a-t-elle été déjà montée ?


MD : Très peu de temps après que je l’ai écrite, elle a été produite par France Culture puis ce fut tout.


GR : Pourquoi à ton avis ?


MD : Difficile à dire. Sans doute est-ce lié au sujet. Elle a intéressé plusieurs metteurs en scène, plusieurs fois elle a failli être montée, mais il y a eu comme un problème de passage à l’acte...Je ne me l’explique pas vraiment. Un siècle d’Industrie qui a été mise en scène par Paul Golub a été reprise plusieurs fois depuis, peut-être parce qu’elle se déroule en Allemagne et non en France.
Sans doute cette période de notre histoire n’a pas été bien digérée, car en creux on parle de la collaboration politique. D’importantes institutions comme le Conseil d’État, la Cour de Cassation, le corps préfectoral, la police et la gendarmerie de l’époque, la Caisse des Dépôts et Consignations par exemple sont très impliqués dans cette histoire, cela concerne beaucoup de gens, pas seulement les leaders politiques. Et tout cela s’est traduit par des décrets, des règlements, des notes aux Préfets qui en ont fait des notes administratives à leurs différents services. Sans vouloir faire des parallèles simplistes, bien sûr, j’ai eu récemment l’occasion de lire une note « pour action » aux Préfets d’août 2011, signée du cabinet de Claude Guéant, Ministre de l’Intérieur, de l’Outremer et des Collectivités territoriales relative à « l’évacuation des camps illicites » (…), prioritairement des Roms. Il y a une partie politique, une partie méthodologique et en annexe des outils de suivi statistique notamment. Cela fait froid dans le dos et on ne peut pas nier une certaine résonnance avec les évènements passés.
La pièce pose ces questions : jusqu’où s’implique -t-on dans un processus, à quel moment on en a conscience et lorsque qu’on en a conscience, jusqu’où accepte-t-on d’aller dans le cadre de ses fonctions.


GR : Comment s’est passé votre rencontre autour de ce projet ?


PP : J’avais vu et lu plusieurs pièces de Marc qui est lié depuis longtemps au CDN de Limoges puisque plusieurs de ses pièces y ont été créées.
Il a été invité dans le cadre des «auteurs vivants ne sont pas tous morts» et j’ai à cette occasion mis en espace Des biens et des personnes. Cela m’a donné envie d’aller plus loin, d’en savoir plus sur son écriture. Aussi parce que j’avais adoré Un siècle d’industrie.


MD : Je connais le travail de Pierre. J’ai assisté à une partie de la mise en espace. J’ai vu qu’il se produisait, de façon très fugace, presque impalpable mais très perceptible pour moi, une espèce de relation évidente de Pierre avec le texte et les comédiens. J’ai senti ça très fort. Il l’a abordé de façon très sobre en privilégiant ce qui se joue entre les personnes dans les interstices de ces lois. Il avait réussi à capter ça en très peu de temps et à le rendre perceptible par le public qui a été immédiatement très sensible à cette l’histoire.
Le danger bien sûr aurait été d’être trop cérébral, et là tout ce qui était juridique passait comme une lettre à la poste, et était ressenti au plan émotionnel.
PP : Les acteurs et moi nous avons été très sensibles au fait que ce n’était pas une thèse, mais une histoire très marquée par l’humanité des personnages.


MD : Je l’ai senti très touché par le thème, très lucide sur cette période de l’histoire mais aussi très sensible à ce que vivaient les personnages et capable de poser un regard tendre sur eux.


PP : Pour moi, il est flagrant dans le texte que c’est l’histoire d’une famille. D’accord ils sont les acteurs d’une immense tragédie, mais on n’a jamais soi-même conscience de ça quand on est impliqué. C’est avant tout une famille qui pourrait tout à fait être la nôtre.


MD : C’est ce sens qui m’a touché, j’oubliais que je l’avais écrite et j’étais touché par ce qui se passait sur scène, ainsi que par la complicité avec les comédiens.


PP : La violence du propos n’empêche pas ça. On a même rigolé aux répétitions. Il faut de la vie pour produire de la vie.


MD : Le regard de Pierre n’est pas sidéré par la violence du propos alors que c’est souvent le cas, le contexte est tel que c’est une difficulté de ne pas l’être.
Là, on est dans l’acte criminel minable. Chez les nazis on est en plein dans le principe génocidaire, dans la barbarie absolue.
Mais ici, rien n’est jamais dit, tout se fait, de façon presque banale.


PP : C’est d’autant plus terrifiant que c’est quotidien.


MD : Oui, les choses se font dans les replis de la loi, il y a un coté dépeçage comme dans Les corbeaux.


PP : Tu penses à la pièce d’Henri Becque.


MD : Bien sûr, j’y ai beaucoup pensé. Ainsi qu’à On purge bébé de Feydeau. Au début je voulais en faire un pastiche, avec un personnage central qui serait un fournisseur de l’armée et puis ça ne marchait pas tout à fait, mais j’ai gardé quelque chose de cet esprit.
Comme dans Becque, il y a la question de l’enrichissement. Le problème de la vénalité, qu’on a tellement reproché aux Juifs, mais finalement en l’occurrence, ils en ont été surtout victime...


GR : Au-delà des circonstances qui t'ont amené à l'écrire, quel a été au fond ton désir d'écriture avec cette pièce ?


MD : Il y a dans la pièce un enjeu de connaissance bien sûr, mais avant tout un enjeu théâtral. Je fuis toute sacralisation. Au-delà du sujet lui-même, de la période précise qu'il traite, tout cataclysme de cette envergure a des résonnances universelles parce qu'il a des conséquences sur la vie des gens, sur notre vie. C'est par le biais des relations humaines que l'on perçoit ce qui se joue.
C’est important qu’un metteur en scène puisse s’emparer du texte. Si jamais je pouvais céder à la tentation d’être révérencieux au sujet traité, il est important qu’un metteur en scène puisse amener son univers, sa distance, son propre langage,...


PP : Personnellement, c’est un moment de notre histoire dont j’ai toujours voulu parler, mais fallait-il encore que je trouve la pièce qui le permette. Des biens et des personnes est une oeuvre littéraire remarquable, mais surtout c’est une réponse étonnante qui privilégie la dimension humaine, qui se déroule au coeur de la vie des gens. Tout mon travail va être de rendre ces gens très vivants...De distinguer l’individu dans la foule.


MD : J’ai toujours essayé d’écrire à hauteur d’yeux d’hommes, de femmes, pas en surplomb. J’ai une petite accélération cardiaque quand Pierre dit «Je vais tout faire pour les rendre vivants» car même s’il s’agit de personnages de fiction, ma volonté est de redonner vie à des morts.


GR : Viendras-tu aux répétitions ?


MD : Je suis plutôt discret généralement, pas demandeur, mais je suis à la disposition si le metteur en scène ou l’équipe le demande.
Mais j’aime bien laisser les choses se faire...
C’est une partie de mon plaisir. L’écriture me procure beaucoup de plaisir, mais j’aime aussi beaucoup découvrir le spectacle quand il est déjà dessiné, voir ce que le metteur en scène en a fait.
Je suis présent mais discrètement....
Je voudrais ajouter que la rencontre avec le public de Limoges compte énormément pour moi. C’est un public très concerné, pas du tout blasé. À chaque fois qu’une de mes pièces a été jouée ici, cela m’a donné envie de me mettre immédiatement à l’écriture d’une nouvelle pièce. J’apprécie beaucoup le lien que les spectateurs ont tissé avec le théâtre, on les sent chez eux au Théâtre de l’Union. Quand on y va on a l’impression d’être reçu et c’est extraordinairement agréable.


PP : D’ailleurs le public du CDN connaît très bien ton travail, cette année il y a eu la reprise du Cabaret de la Grande Guerre.


MD : Oui, j’ai l’impression de faire un trajet avec eux, et puis c’est une région qui est très sensible à ces sujets....


GR : Écris-tu une nouvelle pièce en ce moment?


MD : J’ai terminé une pièce qui s’appelle Marche vers la porte.
Il s’agit là encore de trajectoires individuelles croisées. Celle d’un jeune analyste financier et celle d’une femme d’une cinquantaine d’années victime d’un plan social. J’ai mis un petit peu de temps pour l’écrire, puisque je l’ai commencée en 2007 et que je l’ai terminée il y a deux mois....

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