: Note d'intention
La Tragédie Grecque m’a toujours servi de modèle dramaturgique. Elle met, dans quasiment toutes les pièces conservées, une histoire de famille, l’intime, en rapport avec la société et le monde. La présence du choeur (représentant des spectateurs) et des messagers (qui décrivent le contexte extérieur à l’action se déroulant sur le plateau) auprès des protagonistes permet une relation directe avec le public. Ce dernier se trouve interpelé, seul juge des actes des protagonistes.
Le poids du passé, pour tout individu, quel qu’il soit, détermine son identité, son inconscient, ses actions, son destin. Il y a certes une part de libre arbitre dans nos choix et dans nos projets de vie. Mais nous sommes constitués, génétiquement et culturellement, de ce que les générations précédentes dont nous sommes issus ont construit et nous ont légué. Il est fort difficile de se libérer, ne serait-ce que partiellement, de ce poids du passé. A moins d’avoir conscience qu’il existe. Et d’en parler. Ne serait-ce qu’un tant soit peu.
Dans L’Orestie, Eschyle montre, avec un talent indépassable, comment le destin des membres d’une même famille est étroitement lié à tout un parcours psychologique, social et historique. Tout est imbriqué, indissociable. Oreste et Electre assassinent Clytemnestre, leur mère, et Egisthe, le cousin de leur père. Si Oreste et Electre passent à l’acte, c’est parce que Clytemnestre a tué Agamemnon alors qu’il revenait à la maison, auréolé de la victoire d’une guerre de dix ans. Si Clytemnestre a tué Agamemnon, c’est surtout parce qu’Agamemnon a consenti au sacrifice de leur fille Iphigénie, à Aulis, au moment où il était le chef de l’armée grecque en partance pour détruire Troie. Mais ce n’est pas tout. Agamemnon est le fils d’Atrée. Atrée, assoiffé de vengeance, avait invité son frère Thyeste à un banquet où il lui avait fait dévorer ses fils que lui, Atrée, avait tués. Ensuite Thyeste, coupable d’inceste avec sa propre fille, a eu un autre fils : Egisthe qui deviendra l’amant de Clytemnestre.
L’Orestie n’est pas seulement une fable ou une métaphore. Cette trilogie nous rappelle qui nous sommes, chacun de nous. Elle nous rappelle aussi, au niveau du style, qu’aucune intrigue ne peut se construire avec force si l’auteur ignore ou écarte le parcours intime, secret, incontournable des protagonistes de cette intrigue. C’est un tel processus qui caractérise aussi une pièce comme Incendies de Wajdi Mouawad et qui en assure la qualité et la puissance émotionnelle.
Jetons un regard sur ce qui se passe autour
de nous. Le monde d’aujourd’hui : un monde
en guerre. Les actualités, les infos, les médias
ne nous parlent que des évènements au jour le
jour. De l’horreur au quotidien dont les seuls
responsables sont les « barbares » appartenant
à une civilisation qui n’aurait rien à voir avec
la nôtre. Les médias et les discours politiques
ne mettent jamais en relation les évènements
actuels avec des faits historiques récents.
Encore moins avec des faits lointains. Or les
tragédies qui s’enracinent ici ou là, dans le
monde, relèvent toujours d’une succession
d’évènements. Les évènements d’une histoire
récente ou lointaine ont pour responsables non seulement de très nombreux individus,
mais aussi de nombreux clans et lobbies,
parfois même des politiques mondiales telles
que le colonialisme, le néo-colonialisme,
les intérêts des multinationales. C’est ainsi
que la Première Guerre Mondiale a eu pour
conséquence la Deuxième Guerre Mondiale
et que la Deuxième Guerre Mondiale est à
l’origine de tous les conflits que l’on observe
aujourd’hui au Moyen-Orient. Partout sur la
planète, des individus luttent pour leur survie,
soit en se soumettant au(x) système(s) soit en
prenant les armes.
C’est ce type de conséquences sur une famille
dans laquelle se croisent les destins d’un
Anglais, d’Israeliens et de Palestiniens sur
trois générations, que je cherche à mettre en
relief avec Des roses et du Jasmin. A travers
cette histoire, ce n’est pas seulement du
Moyen-Orient qu’il s’agit ou de communautés
particulières. C’est ce que nous vivons tous,
d’une manière ou d’une autre.
Le théâtre peut nous raconter une histoire, nous procurer un réel plaisir, nous amener à rire et à essuyer une larme sur notre joue, saisir notre attention par l’intensité de l’action qui emporte les personnages. Cela fait partie de la fonction de cet art qui rassemble les spectateurs. Mais peut-être que l’essentiel est la manière dont un spectacle sollicite notre réflexion, nous pousse à nous interroger sur nos destins, collectif et individuel.
Adel Hakim
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