" Voici un texte rare ; dérangeant ; stimulant, qui prend comme point de départ la phrase polémique du compositeur Karlheinz Stockhausen sur les attentats du 11 septembre et un essai du philosophe provocateur Slavoj Zizek, Bienvenue dans le désert du réel, afin de livrer un texte corrosif et énigmatique. Sous son apparente simplicité pose des questions essentielles et proprement actuelles en s’attaquant aux valeurs soi-disant universelles de notre culture occidentale.

Lorsque les avions ont percuté les tours du World Trade Center, j’étais en répétition et j’associe, depuis, cet événement au processus théâtral que j’avais dû interrompre, la fiction ne faisant pas le poids face au spectacle fascinant de la réalité.

Chef-d’oeuvre se situe à l’endroit même de cette confrontation.

Reprenant à son compte une réflexion de Stockhausen qui a vu dans cet attentat l’une des plus grandes oeuvres d’art produite dans le cosmos, Lollike interroge cet événement du point de vue de l’histoire de l’art de la fin du XXème siècle et de ses expériences extrêmes mettant en jeu le corps humain. Il crée une échelle de valeur et cherche à quelle hauteur se situent ces attentats.

La grande force de Chef-d’oeuvre est de poser un regard neuf et insolent sur cet événement ressassé jusqu’à épuisement. Et dix ans après ce drame, il arrive encore à nous provoquer grâce à un point de vue qui reprend à son compte un certain nombre d’opinions du tout-venant, mettant en compétition ces attentats et les famines en Afrique notamment. Posant en balance plusieurs types de misère afin de savoir laquelle est la plus spectaculaire, il nous laisse seuls face à notre propre conscience occidentale bien-pensante.

La société du spectacle est devenue malgré elle le vecteur du terrorisme, et Lollike, atteint comme ses personnages « d’ironite » aigüe, va au bout de ses raisonnements avec une étonnante légèreté de ton, comme si le langage du tout communicationnel atteignait ses limites face à cette confrontation.

Légèreté de ton au moins dans la première partie. Car Chef-d’oeuvre se divise en trois parties distinctes, tant par le ton que par la forme, comme si Lollike partait de l’extérieur des faits pour mieux en atteindre le coeur.
La deuxième partie nous fait « voyager » de Beslan au Rwanda en passant par le cockpit du vol en direction de New York… Mais un voyage intérieur, sous forme d’oratorio inattendu à cet instant, où se tissent les voix des bourreaux et des victimes sans autre forme de commentaire.

Enfin l’auteur termine en donnant la parole à Mohamed Atta, l’un des cerveaux du 11 septembre, dans un face à face avec le public.

Proche de la performance, Lollike propose un théâtre qui déconstruit totalement les canons classiques de la dramaturgie. Ici, pas vraiment de personnages, mais des hommes et des femmes qui jouent à être des stars d’Hollywood qui jouent eux-mêmes les protagonistes des drames dont il est question dans la pièce. Un théâtre conscient de ses artifices qui joue à nous perdre pour mieux nous concerner.

Lollike est un jeune auteur qui puise ses sources dans tout ce que le monde et les médias lui offrent tous les jours. Encore inconnu du public français, Lollike est une véritable star dans son pays. Présenté dans d’autres pays européens, il n’a jamais été joué en France.

Son écriture stimule ma créativité tout comme elle peut m’agacer et c’est cette tension qui m’intéresse, car je sais que quelque chose se joue là, essentiel, qui a à voir avec mon propre rapport au théâtre et au monde.

Je suis de plus en plus attiré par des écritures non dramatiques en apparence. Après avoir mis en scène Heiner Müller et Manque de Sarah Kane, j’ai trouvé chez cet auteur l’endroit d’écriture en creux qui m’intéresse, qui est un appel à la mise en scène.
J’aime que le théâtre reste un vecteur de jubilation, de provocation et de réflexion.

Il faut se dépêcher de jouer Chef-d’oeuvre."

Simon Delétang

2011