theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Celles qui me traversent »

Celles qui me traversent

Anne Théron ( Mise en scène )


: Présentation

GENÈSE DU PROJET


Ce projet est né d’une nouvelle recherche autour du double et de l’altérité. Ce n’est donc pas un hasard s’il succède à Ne me touchez pas, dont l’écriture première ajoutait aux deux figures de Merteuil et Valmont – empruntées aux Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos -, une troisième présence, appelée La Voix, personnage incarné au plateau, certes, mais qui symbolisait, à l’origine, la bête dans la boîte crânienne de Merteuil. C’était donc déjà une réflexion autour du double et de l’inconscient, même si au plateau il s’est vite révélé que La Voix était un personnage en soi, à tel point qu’on ne savait plus si elle était générée par Merteuil ou si au contraire c’était elle qui « pensait » Merteuil et Valmont à la façon d’une Virginia Woolf.


Ici, dans Celles qui me traversent, le propos se formulerait ainsi : moi et l’autre, ou plus précisément moi et l’autre en moi (à la manière du « Je est un autre » rimbaldien), un autre aux multiples visages que je perçois parfois mais que je ne re/connais pas. Est-ce un double ou un flux qui construit et modifie une identité sans cesse en mouvement ? D’où le titre Celles qui me traversent car il s’agit, une fois encore, de se pencher sur la femme. Il ne sera pas question de son statut social, religieux ou politique, mais plutôt de s’interroger sur son identité et sa logique émotionnelle.
Qu’est-ce qu’une femme, y a-t-il un Féminin ? Et derrière un visage de femme – dans ces strates qui la constituent, ces figures qui la traversent, cette mémoire inconsciente – y a-t-il d’autres visages ? Quels visages ?
Je n’ai pas de réponse à ces questions, mais je sens intuitivement qu’une femme, puisque c’est elle mon sujet, est un être, ou mieux un système complexe, traversé parfois par des tropismes – tels que définis par Nathalie Sarraute, c’est à dire un sentiment fugace, bref, intense mais inexpliqué – qui l’oblige à affronter des zones d’ombre. L’autre en soi est toujours soi, et pourtant autre. Il s’agit donc de mettre en scène la parole (qu’elle soit chorégraphique ou orale) échangée avec l’autre qui est en soi.


LES DANSEUSES : Julie Coutant et Akiko Hasegawa


Dès le début, j’ai su que ce projet serait pour deux danseuses au plateau, deux danseuses avec lesquelles j’ai déjà collaboré, et qui convoquent le Féminin de différente façon. J’ai rencontré Julie Coutant sur la création de Jackie, un texte d’Elfriede Jelinek, un monologue interprété par la comédienne Nirupama Nityanandan. Je voulais qu’on voie le personnage de Jackie Kennedy créer une nouvelle image de la femme, ce avec le corps de Julie dont l’androgynie propose une féminité troublante. Plus tard, j’ai travaillé avec Akiko Hasegawa à qui j’ai demandé d’intervenir comme l’altérité (femme, danseuse, japonaise) de l’acteur Stanislas Nordey (homme, comédien, français) dans le spectacle L’Argent, que j’ai créé à partir du texte de Christophe Tarkos. Julie et Akiko sont donc deux interprètes avec lesquelles j’ai déjà abordé le thème du double et de l’altérité. J’ai toujours eu le désir de réunir ces deux interprètes, peut-être à cause de leurs différences. Car je ne crois pas qu’il existe Une Féminité, mais des femmes, nombreuses, singulières, aussi bien dans leur être, leur corps, que dans leur rapport au monde.
C’est donc dans leurs corps, le mouvement de ce corps, que je cherche le lien entre l’enveloppe et son contenu, entre une femme et ce qui la constitue, que ce soit son imaginaire, son inconscient, sa fiction ou sa mémoire. Bref, une fois de plus je cherche à creuser dans l’organique et la sensation.
Deux danseuses qui répondent à l’équation : 1+1=1.
Chacune comme excroissance et intériorité de l’autre.


À une époque lointaine, je me rendais souvent à Lyon et je regardais les matchs de pétanque sur une chaîne locale où les membres des équipes, équipés de discrets HF, se marmonnaient des conseils, sinon des injonctions, quant aux tirs qui se succédaient. Je me souviens à quel point il était étrange de voir ces hommes qui chuchotaient sans jamais s’adresser un regard, tous concentrés sur leurs boules dont il fallait qu’elles collent au cochonnet. Très vite, le spectateur avait la sensation que ces joueurs s’adressaient à eux-mêmes, s’encourageaient, s’admonestaient ou se vilipendaient, toujours les dents serrées, interlocuteurs d’un invisble, tous ensemble telle une hydre à têtes multiples, jaillies d’un seul corps… d’un seul souffle.
C’est ce que je voudrais retrouver au plateau. Deux danseuses, capables de fusionner dans un même geste pour soudain se fragmenter en entités distinctes, l’une convoquant l’autre, sans la regarder, sans la voir, mais la faisant exister parce que la désignant avec ce « tu » que chacun connaît comme une façon de se parler à soi-même. Elles seraient toutes deux le flux qui relie une sensibilité à une autre.


UNE APPROCHE ORGANIQUE ET POÉTIQUE DE L’IDENTITÉ


L’identité est à la fois ce qu’il y a de plus visible et de plus caché, voire de plus enfoui en nous.


Pour cette création, nous ne partons pas d’un texte mais de la parole, que ce soit celle des deux danseuses au plateau – Julie Coutant et Akiko Hasegawa -, ou celle des quatre femmes artistes interrogées et filmées en amont - Florence Baschet (compositrice), Aurélia Georges (cinéaste), Elizabeth Prouvost (photographe) et Lydie Salvayre (auteure) -. Les danseuses, au micro HF, échangent parfois entre elles mais comme si l’autre était une excroissance ou une intériorité de leur propre être. Les quatre femmes, elles, développent un autre type de parole à partir de constellations de vocables, tirées du texte de La Voix dans Ne me touchez pas, notre précédente création (par exemple : libre/abandonnée/forte ou silence/oubli/mémoire,…). Ces « attrape-fictions » permettront de développer une parole de l’intime, au croisement du rêve, de la mémoire et de la fiction, travaillée en une « pâte-mot » (pour reprendre l’expression de Christophe Tarkos), où ce ne sera plus le mot mais le son de ce mot qui fera sens. C’est sur cette partition que s’articulera la chorégraphie des danseuses. De très gros plans des quatre artistes, monochromes de peaux d’où émergent un œil, un morceau de joue, une paume, une bouche, un battement de pouls ou de cils seront projetés sur un écran en « cheveux », que les danseuses vont traverser pour littéralement passer derrière la peau, au travers des corps. Un travail de l’image proche de la macrophotographie : montrer ce qui est presque invisible à l’œil nu, faire émerger un infiniment petit, celui du mouvement interne. Une approche qui dissèque pour mieux dévoiler – la caméra et les micros devenant les outils d’un monde quasiment médical, aussi bien scalpel, que sonde ou encéphalogramme, qui autoriseraient une recherche de l’ordre de la fibroscopie.
Cette logique organique, sonore, visuelle et chorégraphique permet une approche des différentes figures, oubliées, immergées, qui ont laissé des traces dans l’inconscient mais aussi dans le corps. J’oserais presque dire dans « le corps de l’inconscient ». Traces approchées par fragments. Chacun de ces fragments obéit à son propre rythme, pourtant ensemble ils tissent des rapports inattendus d‘échelle. Imaginez par exemple la respiration d’une danseuse en premier plan sonore, alors qu’elle-même au plateau parait minuscule face à ces morceaux de corps projetés, dont on ne sait plus à qui ils appartiennent, sinon qu’ils expriment les multiples strates d’un vivant.
Pour conclure, l’ambition de ce spectacle est que les corps, les images et les paroles se rejoignent et écrivent un Féminin imaginaire sur un mode poétique, un mode qui convoquerait l’invisible.

Anne Théron - Metteure en scène

juin 2016

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.