: Fulgurances du réel
Dans le métro, sur un moniteur
qui borde les quais, un message
attire mon attention. Il s’agit d’un
avis de recherche, d’un appel
à témoin : on aurait poussé un
homme sur les rails du métro.
Acte fou, désespéré, assassin.
Un autre jour, à la télévision,
un homme en passe de se faire
élire président de la République
formule un voeu : « Rassembler
le peuple français autour d’un
nouveau rêve français ». Mais
de quelle nature ce rêve ?
Dans mon sommeil, cette
nuit là, un homme âgé ouvre
la porte d’un placard. Les clés
à la main, il me regarde, fier :
m’apparaît alors dans l’obscurité
une femme debout, vieille et
laide, le corps dévoré telle une
carcasse de mouton. « C’est
ma mère, c’est ma mère »,
dit l’homme avant de refermer
la porte des rêves.
Une autre fois, une idée folle
arrête le cours de ma pensée :
nous sommes en guerre. Plus
tard, un légionnaire de retour
d’Afghanistan me dira dans le
train qui nous ramène à Paris :
« Devant moi, un enfant de douze
ans, pas plus. Il pointe son arme
vers moi. Qu’est-ce que tu fais ?
Qu’est-ce que tu fais? T’as pas
le temps de réfléchir. C’est lui, ou
c’est toi. Si tu réfléchis, tu meurs
avant lui. Qu’est-ce que tu fais ?
Tu veux mourir ? Et puis sous tes
yeux, là, dans le ciel, l’hélicoptère
explose. Dedans, le pilote, c’est
ton ami. Tu discutais avec lui
juste avant qu’il décolle.
Qu’est-ce que tu fais ? Si tu
penses à ça tu deviens fou.
Tu peux pas continuer. Il faut pas
réfléchir à tout ça. Il faut pas.
Je suis là, c’est ça qui compte.
Je suis là. Je suis là. »
En avril 2002, Richard Durn
pénètre dans la salle où se tient
le conseil municipal de Nanterre
et assassine huit élus. Dans son
journal intime, il note : « Je n’ai
plus de famille, plus de référents, plus d’idéal et je n’ai toujours pas
trouvé mon identité à 30 ans (...)
Je n’ai pas atteint un idéal
d’humanisme et m’étant laissé
aller au désoeuvrement et à
l’échec, j’ai voulu tuer... »
De quoi parle Avril 08, conte moderne ? Probablement de ces
fulgurances, de ces fragments de
réel qui nous aveuglent, tout
comme le monde qui nous
entoure et que nous produisons.
D’autres fulgurances,
d’autres rendez-vous avec le réel
ont accompagné la gestation
de ce qui est devenu un conte
moderne. Pourquoi un conte ?
Par ironie bien sûr, mais pas
seulement, car il y une morale
derrière cette mise à distance.
La morale de ceux qui se
rassemblent autour d’un plateau
de théâtre pour éprouver (en
communauté) une part de leur
humanité. Il ne s’agit pas de
divertissement à proprement
parler, mais d’une façon de se
confronter à l’énigme de
l’humain, d’en exprimer la
puissance de vie et, ce faisant,
d’accéder à une forme de
méditation ou de joie tragique.
Fabrice Dauby
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