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Alpenstock

+ d'infos sur le texte de Rémi De Vos
mise en scène Sandra Amodio

: Présentation

Spectacle lauréat 2017 de la Rencontre du Théâtre Suisse.

On rit, bien sûr, et de bon coeur, tout au long de cet Alpenstock. Mais très vite le rire se fige, et ce qui saute à la figure, c'est l'incroyable cruauté et la noirceur qui renvoient chacun à ses propres zones de médiocrité.


J’ai abordé cette pièce avec la même profondeur, la même rigueur que quand je m'attaque à une tragédie car le piège de tomber dans le grotesque et d’y restée enfermée était grand. Au contraire naviguer entre le naturalisme et l’expressionnisme de ce texte, m’a permis d’entrer dans les eaux profondes des lignes de l’auteur et des personnages.


Et derrière la vulgarité et l’obscénité de certaines situations et de certains mots de Fritz, j’ai entrevu un espoir dans la rencontre de Grete et de Yosip. D’une situation vaudevillesque à la Faydeau, il est probable de faire naître une nouvelle révolution.


Révolution, au sens rotation ou...agitation ? !


THÈME PRINCIPAL


Le fantasme de l’invasion a) étrangère et b) érotique


a) Étrangère
Si les récents naufrages en Méditerranée ont suscité une vague d’empathie et relancé le débat sur la politique migratoire européenne, ils n’ont pas manqué d’alimenter les fantasmes parmi les aficionados des courants populistes et d’extrême droite. Sur les réseaux sociaux et les forums Internet, ceux-ci se déchaînent, répétant jusqu’à plus soif que l’Europe est la cible d’une invasion. Ces embarcations, affirment-ils, sont moins remplies de légitimes demandeurs d’asile, que de “Noirs” (sic) qui se ruent sur l’Europe afin de profiter des largesses de son système social.


Rémi De Vos, l’auteur, n’a de gêne à travers son personnage Fritz de répéter ces paroles nauséabondes et ces lieux communs improductifs. Fritz fait une fixation mentale sur l’étranger qui le poussera au meurtre à répétition et en faisant apparaitre toujours le même personnage Yosip.
Ce qui effraye dans cette pièce est la férocité qui s’en dégage liée au personnage de Fritz qui ressemble davantage à un fonctionnaire arriviste et superficiel obéissant à un dictateur et à un pouvoir totalitaire qu’à un personnage démoniaque. Nous pouvons d’ailleurs éclairer la lecture de ce personnage par la théorie de Hanna Arendt, La banalité du mal.


Pour Arendt, l’incapacité à voir les choses du point de vue de l’autre, à penser autrement que par clichés et préjugés ou à être dans une toute-puissance de la pensée narcissique, à réfléchir aux conséquences de ses actions, l’incapacité à distinguer entre le bien et le mal, renvoie non seulement au manque de responsabilité morale individuelle, mais représente le mal extrême tout en étant sans fondement. Pour Arendt, la conscience s’appuie sur la capacité de penser. Ce qui permet l’expérience de la conscience, c’est une pensée sous le mode du dialogue.


Fritz n’est pas dans le ressenti de la vie, il est dans sa théorisation, dans le mental, enfermé dans le cerveau. Il vit sa vie comme un coucou suisse qui sonne les heures en apparaissant. Il suffit d’une erreur banale de sa femme Grete, celle de s’être rendue au marché cosmopolite et d’y avoir acheté du détergent, pour que Fritz se déchaîne en nationaliste exacerbé rejetant toute conscience et surtout la notion de l’autre. Même la routine sexuelle se déglingue.


b) Érotique
Le fantasme du personnage de Grete est d’ordre érotique et sentimental.
Machine à nettoyer, à astiquer, à épousseter, elle ne doit rien ressentir et encore moins éprouver de plaisirs autres que ceux procurés par les tâches quotidiennes et les injonctions de son mari. Mais voilà Grete, elle, elle pense et elle pense si fort qu’elle ose entrer dans le marché cosmopolite. Dès lors elle fantasmera l’étranger si fortement qu’elle le fera entrer en musique dans sa maison et puis dans sa chair. Il s’appelle Yosip. Et malgré le meurtre de l’étranger par Fritz, celui-ci les surprenant faisant la bête à deux dos, il y aura d’autres Yosip qui viendront envahir sa maison et son corps pour le bonheur de son âme, de ses sens et de ses yeux.
Et à l’auteur dans cette dernière partie du texte de nous emmener dans une valse de scènes à répétition jusqu’au vertige qui fera prendre une tournure positive et humaniste à ce couple.


THÈMES SECONDAIRES


a) L’inquiétante étrangeté
Derrière la notion de fantasme et dans la forme donnée par le texte, il y a celle de l’inquiétante étrangeté dont parlait Freud. Je cite: « L’inquiétante étrangeté surgit quand quelque chose s’offre à nous comme réel. » L’inquiétante étrangeté renvoie à un état très précoce des relations enfant/adulte tutélaire. Elle émane, écrit Freud, « de complexes infantiles refoulés : complexe de castration, fantasmes liés au corps maternel, lorsqu’ils sont ramenés par quelque expression extérieure, ou bien lorsque de primitives convictions surmontées semblent de nouveau être confirmées ».


Voici quelques situations d’inquiétante étrangeté :
Répétition de situations semblables qui provoque un effet proche de certains états oniriques :
• retour involontaire au même point, répétition du même trajet où l’on se heurte au même obstacle, réapparition obstinée du même signe, ou du même nom, qui s’impose,
• pressentiments, superstitions,
• apparition d’un revenant, d’un spectre, manifestation de la crainte de la mort.


Ce vécu est en lien avec l’automatisme de répétition (Cf. Chapitre Mise en scène) qui s’affirme au-delà du principe de plaisir. « Est ressenti comme étrangement inquiétant tout ce qui peut nous rappeler cet automatisme de répétition résidant en nous-mêmes. » Freud relève que cette expérience est plus fréquente dans la névrose obsessionnelle et qu’elle témoigne du principe de toute-puissance de la pensée, d’une surestimation narcissique de ses propres processus psychiques.


b) La valse
« La valse est une danse à trois temps cadençant où chaque couple enlacé se déplace sur la piste en tournant sur lui-même ». In Petit Robert
Cette définition nous permet de comprendre pour quelle raison Grete chante des valses et Rémi De Vos fait tourner la dernière partie du texte sur lui-même.


Grete férue de films romantiques rêvent de danser enlacée dans les bras d’un homme à en perdre la tête, elle chante le Beau Danube Bleu en s’imaginant être Romy Schneider dans les bras de Curt Jurgens dans le film Katia. Mais Fritz n’a rien de séduisant et n’a rien d’un acteur viril et elle n’est pas Romy. Toutefois la force de son fantasme fera apparaître le bel inconnu, Yosip-l’étranger.


Rémi De Vos, lui, s’amuse à répéter des répliques, même des débuts de scène, non pas à l’identique dans les mots mais dans la situation. Pour finir sur cette succession finale de 11 scènes courtes, tel une valse de gags à répétition.
Ce mouvement répété va produire de l’inédit, un horizon nouveau ou pour citer le philosophe Gilles Deleuze, « Une simple potentialité amoureuse ou un élément pour un nouveau devenir de la conscience entendue comme disposition ouvrante à la pensée ».


De cette notion de valse et de répétition est née notre esthétique, notre poétique et notre espace scénographique.

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