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Acte

mise en scène William Astre

: Note d'intention

Ecrit en 2001, Acte est un texte librement et largement inspiré des années de plomb, qui marquèrent l’Europe dans les années 70.
A cette époque apparurent de multiples groupes terroristes, majoritairement militants d’extrême gauche, qui commirent nombre d’actions violentes et mortelles au nom de leurs convictions. De leur côté, les états répliquèrent également par une forte violence.


Parmi ces groupes terroristes, la bande à Baader (ou Fraction Armée Rouge, R.A.F.), sévissait en Allemagne. Ulrike Meinhof en était la cofondatrice. Arrêtée en 1972 et condamnée à perpétuité pour terrorisme, elle fut placée dans un quartier de haute sécurité et torturée. Elle fut retrouvée pendue aux barreaux de sa cellule le 9 Mai 1976 à 7h30 du matin, après avoir fait une grève de la faim pour protester contre les conditions de détention des détenus politiques.


C’est dans ce contexte que se déroule Acte.
Une prisonnière (M), condamnée à perpétuité, reçoit la visite d’un médecin (G) pour un examen médical de routine. Bourreau et victime, ordre et chaos vont alors insidieusement s’affronter, se mêler, puis s’inverser…Sommes-nous vraiment dans l’infirmerie d’une prison ? Ne serions-nous pas plutôt dans la tête de la prisonnière qui, pour survivre au silence meurtrier, s’invente un interlocuteur dont elle varie les postures ? Par ailleurs, la discussion de M et G n’est pas sans rappeler la Shoah et les actions nazies, reprenant ainsi la théorie selon laquelle la lutte armée ne résulterait pas de la déception de mai 68, mais serait plutôt le produit d’un peuple qui refoule son passé nazi et engendre une autre forme de violence chez ceux qui se sont élevés contre cette hypocrisie.


L’atmosphère évoque les conditions particulièrement dures de détention réservées aux militants emprisonnés (“die Sonderbehandlung”) : l’isolement extrême et la surveillance perpétuelle de l’individu.
Autrement dit, pas de contact avec d’autres détenus, pas d’activité collective, pas de service religieux, contrôles des cellules et fouilles corporelles humiliantes à répétitions, droits de visite restreints, pas de courrier, pas de journaux… pour les plus chanceux. Pour les autres le quartier spécial de la section silencieuse de Cologne-Ossendorf, avec à la clef torture par privation sensorielle.


La privation sensorielle est une méthode de torture psychologique mise au point par la CIA vers 1951-54 à partir d’expériences qu’elle avait financé en 1951, et faites par le neuropsychologue Donald Hebb sur ses étudiants volontaires à l’Université McGill à Montréal. Physiquement non-violente, cette méthode consiste à réduire autant que possible les perceptions sensorielles du sujet. Les effets, constatables au bout de quelques jours, sont des hallucinations comparables à des prises de drogues et aboutissent à une régression mentale et un chaos existentiel insupportable.
Cette torture a été utilisée notamment au Camp de Guantanamo.


Il nous importe avec ce projet de rendre compte de la force et de la tension inhérentes au poème, tout en traduisant théâtralement les effets physiques et psychologiques de la privation sensorielle.
Nous souhaitons présenter le personnage de M comme une femme fragile, digne et consciente de son état, provocatrice, mais qui se laisse peu à peu envahir et déstabiliser.
Le personnage de G doit en revanche éclore au fil de la pièce, pour que tombe le masque du “bon citoyen”.


L’extrême tension régnant dans cet affrontement doit se traduire avant tout dans les corps des protagonistes. La parole quant à elle, doit venir de loin, stratégiquement, comme s’il ne fallait dire que l’essentiel, que ce qui fait sens dans ce dialogue urgent et pourtant impossible entre le médecin et la captive.


Finalement, nous voudrions que le spectateur ralentisse sa respiration pour mieux apprécier l’intensité, la subtilité et la justesse de ce texte, comme un affreux murmure dans une atmosphère horriblement pesante et désespérée.


... Sentir ta moelle épinière te remonter au cerveau à force d’être comprimée...


... Sentir ton âme pisser de ton corps, comme si tu n’arrivais plus à fixer l’eau
Sentir ta cellule bouger. Tu te réveilles, tu ouvres les yeux: la cellule bouge...


... Te sentir devenir muette
Impossible de te rappeler le sens des mots, sinon très vaguement...


... Ne plus maîtriser la construction des phrases, la grammaire, la syntaxe.
Si tu écris, au bout de deux lignes, impossible de te rappeler le début de la première...


... Des visites, il ne te reste rien.
Une demi-heure après, impossible de te rappeler, sauf de façon mécanique, si ça a eu lieu aujourd’hui ou la semaine dernière
Le bain de la semaine, c’est la chance de se laisser aller, de reprendre des forces pour un bref instant - pour quelques heures
Sentir le temps et l’espace irrémédiablement imbriqués l’un dans l’autre et te sentir vaciller,...


...Aux prises avec un fauve psychique...


... La colonie pénitentiaire de Kafka - le type sur une planche à clous
- et le grand huit sans arrêt.


( Lettre du couloir de la mort, Ulrike Meinhof 1972)

William Astre

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