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ANR - Rencontres recherche et création
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ANR - Rencontres recherche et création

Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Mises en intrigues

Jeudi 9 juillet 2015 | 14h00 - 17h30

Récit, mises en intrigues, personnages, rôle et règles du jeu sont autant de notions communes aux arts de la scène, à la fiction et aux sciences humaines et sociales. L’observation sociologique ou ethnographique montre que les jeux collectifs inventés aident à donner du sens au travail ou que se faire le héros de sa propre histoire contribue à construire les identités individuelles.
La pensée de Socrate sur le théâtre, l’histoire des religions, la réflexion épistémologique sur l’Histoire permettent l’exploration du lien entre fiction, récit, pensée et vérité.

  • Avec la participation de : Nathalie Garraud, metteur en scène, Olivier Saccomano, auteur, Ene-Liis Semper et Tiit Ojasooga, Teater NO99, Patrick Boucheron, historien, professeur, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, Alain Clémence, professeur de psychologie sociale, Université de Lausanne, Thomas Römer, professeur au Collège de France, Chaire « Milieux bibliques », Martin Puchner, philosophe, professor of Drama and of English and Comparative Literature, Université d’Harvard, Marie-Anne Dujarier, sociologue, membre du Lise (Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Economique), UMR CNAM, CNRS, maitre de conférences, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Virginie Milliot, anthropologue, maître de conférences, membre du laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative (LESC (UMR 7186), Université Paris ouest Nanterre La Défense

Descriptifs des interventions

Le sens du travail : réel, jeu et fiction

  • Marie-Anne Dujarier, sociologue, membre du Lise (Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Economique), UMR CNAM, CNRS, maître de conférences, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3

Le travail est parfois décrit comme un « jeu » sur une « scène » sociale. Les individus y incarneraient des « rôles » et y déploieraient des stratégies. L’usage de cette métaphore théâtrale dans l’explication des comportements sociaux comporte des failles importantes, au premier rang desquelles, dans ce cas, l’oubli du travail lui-même. Travailler, c’est en effet faire et agir. Débitrice d’une histoire, inscrite dans des rapports sociaux institutionnalisés et dépendante du contexte précis de son déploiement, l’activité est la construction d’une réponse singulière à ces déterminations multiples. Les travailleurs aspirent, dans le cours de leur activité, à produire du sens, dans les trois dimensions de ce mot : sentir, élaborer une direction et produire des significations qui tiennent et qui le tiennent.
Lorsque la tâche est si réduite qu’elle empêche de déployer une réponse sensible, sensée et signifiante, certains travailleurs, pour survivre à la fatigue, à l’ennui et à l’absurdité en font le point de départ d’un jeu collectif. Cette invention d’un cadrage ludique au travail avait été observée par des sociologues américains des années 1950 puis 1970, à propos d’ouvriers de la métallurgie.
Une recherche sociologique sur le travail des cadres en France a permis de montrer un processus social comparable : pour réaliser un travail répétitif sous contrainte de temps, qui n’a pas de signification sociale assurée, ils construisent une « règle du jeu » qui leur permet de fabriquer un sens à leur tâche quotidienne. Celle-ci consiste essentiellement à fabriquer et à agencer des symboles, des chiffres, des lettres sous forme de tableaux, modèles, présentations, schémas... Elle autorise l’expression de virtuosités intellectuelles délicieuses, sous le regard de leurs pairs, dans une logique agonistique excitante. Mais bien que les abstractions qu’ils produisent et manipulent décident du destin de choses et d’hommes, ceux-ci sont mis « hors-jeu » par la règle du jeu. La distance physique et sociale entre eux facilite le maintien de ce cadrage. L’indifférence aux dimensions matérielles, sociales et existentielles de ce qu’ils encadrent est alors régulièrement comprise par les autres comme un rapport fictionnel à la réalité.

Récits de vies éclatées. Petites histoires de trottoir

  • Virginie Milliot, anthropologue, maître de conférences au département d’anthropologie de l’université Paris ouest Nanterre La Défense

J’avais été frappée dans les années 90 par cette manière toute particulière que les jeunes des banlieues populaires avaient de se raconter. Alors que leur quotidien n’était qu’une suite d’improvisations et de réactions en situation, ils transformaient par le récit l’incertitude en maîtrise. Dans les coulisses de l’entre soi, ils se racontaient, se la racontaient, et se faisaient héros de leur propre histoire. Ces petites fables du quotidien permettaient de donner une cohérence à des évènements discontinus, de combler l’intervalle de sens entre différentes dimensions de l’identité (Paul Ricoeur). Elles construisaient un cadre d’intelligibilité et d’appréhension du monde et jouaient ainsi un rôle de synthèse et de médiation.
Arpentant depuis quelques années les marchés informels qui apparaissent sur les trottoirs de Paris, je suis frappée par la force des récits de soi qui se livrent en situation d’anonymat. Si les règles de cette communication sont respectées, si chacun garde pour soi adresse et identité, tout peut se raconter (Colette Pétonnet). Des histoires très intimes où le narrateur est régulièrement en position de confusion face à la difficulté ou l’adversité. Comme un poids ou un doute que l’on rejetterait hors de soi, hors champs, ces récits d’anonymat jouent un rôle d’exutoire.Nous interrogerons par contraste le sens de ces différentes mises en intrigue qui ont en commun de reconfigurer des vies fragiles et éclatées en utilisant la rue pour scène.

Croyances et raisonnement

  • Alain Clémence, professeur de psychologie sociale, Université de Lausanne

Comme le raisonnement, les connaissances et les croyances concernent la résolution de problèmes de la vie quotidienne. Cette recherche de solutions est alimentée par des insatisfactions et des peurs auxquelles elle tente d’apporter des réponses valides, autrement dit efficaces. Les connaissances sont orientées par la démonstration de ce qui est empiriquement vrai et, en principe, techniquement efficace. Les croyances sont orientées par la recherche de ce qui est normalement juste et, par conséquent socialement efficace. Par ailleurs, la recherche de solutions s’effectue à différents niveaux qui peuvent combiner les deux raisonnements. De ce fait, la production d’une connaissance à un niveau peut stimuler l’usage d’une croyance qui s’y oppose à un autre niveau. Par exemple, la recherche empirique d’une base génétique dans le développement de comportements agressifs, stimulée par la peur de tels comportements, peut être contrecarrée par la croyance en la naturalité de ces comportements, stimulée par la crainte de la création d’êtres non humains. En somme, la recherche de solutions introduit une espèce de division fonctionnelle de la production du savoir qui génère débats et conflits sur ce qui est vrai et faux, mais aussi sur ce qui est normal et anormal ou juste et faux.

Socrate en scène

  • Martin Puchner, professeur de théâtre, d’anglais et de littérature comparée, Université d’Harvard

Diogenes Laertius, premier biographe de Platon, rapporte que celui-ci a écrit des tragédies dans sa jeunesse avant de devenir philosophe. Mais Platon n’a-t-il jamais cessé d’écrire pour le théâtre ? Ses dialogues philosophiques étaient destinés à des représentations intimes, à l’opposé des vastes spectacles présentés durant les festivals de théâtre athéniens. L’approche exclusive de Platon peut être à l’origine d’un type de théâtre qui cherche à diffuser une vision du corps théâtral abstrait, porté par les représentants du théâtre philosophique ou, autrement dit, d’un théâtre destiné à mettre la philosophie sur scène.
Il propose ainsi une alternative à l’approche d’Aristote plus post-aristotélicienne du théâtre, un théâtre platonique des idées. Ce théâtre mobilise les techniques habituelles du genre, y compris le suspens, la destruction et l’amour, montrant Socrate en prison refusant de s’échapper, et la maladie d’amour d’Alcibiades en transe. Mais quelques scènes sont présentées dans une orientation différente que Platon nomme philosophie. Le théâtre philosophique de Platon est une provocation née dans les marges du théâtre et dirigé contre lui.

L’intrigue de la Torah

  • Thomas Romer, professeur au Collège de France, chaire « Milieux bibliques »

Le Pentateuque, la Torah, a une drôle d’intrigue. Elle commence par la création du monde et la promesse du pays faite aux Patriarches, mais cette promesse ne se réalise pas. Moïse, chef du peuple, ne peut le faire entrer dans le pays promis et doit mourir en dehors de la terre. Sur le plan narratif, l’intrigue se solde par un échec, ou un non-accomplissement. Sur le plan historique, celui de la formation des cinq livres de la Torah, cette intrigue est néanmoins porteuse de sens car elle fait de Moïse une figure d’identification pour le judaïsme naissant, qui sera en grande partie un judaïsme de diaspora. L’intrigue de la Torah met ainsi en question le lien traditionnel entre un peuple et un pays spécifique.

Récits, intrigues, fictions : aux limites de la narration historienne

  • Patrick Boucheron, historien, professeur, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne

Depuis que Paul Veyne a défini l’histoire comme la mise en intrigue d’un récit vrai, la question de l’écriture est devenue centrale dans l’épistémologie de l’histoire. Est-ce à dire qu’elle risque d’en affaiblir le régime de vérité ? On peut soutenir la thèse inverse : si l’histoire n’est pas de la littérature, ses moyens d’en convaincre ses lecteurs ne peuvent être que littéraires. On doit par conséquent définir avec Jacques Rancière la poétique de l’histoire comme la mobilisation de procédés narratifs aptes à défendre la véridicité du récit historien. C’est dans cette perspective qu’on se situera ici, en évoquant quelques passages à la limite de la narration historienne : un sens plus aigu de l’intrigue, des récits entraînants, une manière de faire du discours historien une parole adressée, engagée et vivante, mais aussi les expériences fictionnelles des contrefactuels ou de l’histoire des futurs non advenus : l’histoire se cherche de nouvelles voies et de nouvelles voix. Dans le même temps, elle pose à nouveau frais la question de la fiction politique — et par conséquent des rapports entre conduites, croyances et mises en scène. Et si le temps de l’expérience était revenu ?


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