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: Introduction sur le retour d’Ulysse

…Ulysse explique que son monde, sa vie sont à Ithaque et que, par conséquent, il faut l'aider à les retrouver. Vers le soir on rassemble divers cadeaux, on remplit un des navires phéaciens, et Ulysse monte dans le bateau. Il fait ses adieux à tous, au roi, à la reine et à Nausicaa, comme il a dit adieu à Calypso et à Circé. Le bateau vogue et va retrouver les eaux humaines. Ce navire transporte Ulysse de ce monde de nulle part où il a vécu aux frontières de l'humanité, sur les marges de la lumière et de la vie, vers sa patrie, chez lui, à Ithaque.


Un mendiant équivoque


A peine est-il sur le bateau qu'il s'endort et que le navire file tout seul. Les marins phéaciens arrivent à Ithaque sur une plage où l'on voit un olivier qui se déploie, l'entrée d'une grotte des nymphes, les hauteurs montagneuses. C'est une sorte de port naturel avec deux grandes parois rocheuses qui se font face. Les Phéaciens déposent Ulysse endormi sur le rivage, sous cet olivier, et s'en vont comme ils sont venus. Mais Poséidon, du haut du ciel, a vu comment les choses se sont passées. Il a été refait une fois encore : Ulysse est de retour. Le dieu décide de se venger des Phéaciens. Au moment où le navire arrive devant la Phéacie, il donne un coup de son trident, le navire est changé en pierre et, enraciné dans la mer, devient un îlot rocheux. Les Phéaciens ne pourront plus servir de passeurs entre les mondes. La porte par laquelle, au début du récit, Ulysse est passé, et qu'il vient de franchir au retour, cette porte s'est refermée pour toujours. Le monde humain forme un tout et Ulysse en fait désormais partie.
Le matin, à l'aube, il se réveille et regarde ce paysage qui lui est tout à fait familier, où il a passé tout son jeune âge, et il ne reconnaît rien. En effet, Athéna a décidé qu'avant de rentrer notre héros devait être transformé de fond en comble. Pourquoi ? Parce que pendant son absence, et en particulier pendant les dix dernières années, une centaine de prétendants, considérant qu'Ulysse était mort, ou du moins disparu à jamais, vivent dans sa maison. Ils s'y retrouvent, y passent leur temps, ils y mangent, y boivent, minant les troupeaux, vidant les réserves de vin et de blé en attendant que Pénélope se décide pour l'un d'entre eux, ce qu'elle ne veut pas faire. Elle a employé mille ruses, elle a prétendu qu'elle ne pouvait pas se marier avant d'être sûre que son mari soit mort. Ensuite qu'elle ne pouvait pas se marier avant d'avoir préparé pour son beau-père un linceul, une toile dans laquelle on l'ensevelirait. Alors elle est dans l'appartement des femmes, cependant que les prétendants, dans la grande salle où ils festoient au banquet, couchent, le repas fini, avec celles des servantes qui ont accepté de trahir la cause de leurs maîtres. Ils font là mille autres folies.


Pénélope, dans sa chambre, tisse sa toile tout le jour, mais, le soir venu, défait tout le travail. Ainsi, pendant presque deux ans, elle a pu abuser les prétendants en arguant que l'ouvrage n'était pas achevé. Mais une des servantes a fini par révéler la vérité aux prétendants, qui exigent alors une décision de Pénélope. Naturellement, ce qu'Athéna veut donc éviter, c'est qu'Ulysse ne reproduise l'erreur d'Agamemnon, c'est-à-dire qu'il ne revienne sous sa véritable identité et ne tombe dans le traquenard que lui réservent ceux qui l'attendent. Il faut donc qu'il apparaisse déguisé, incognito. Pour ce faire, pour qu'on ne l'identifie pas, il faut aussi qu'il ne reconnaisse pas lui-même le paysage familier de sa patrie. Quand Athéna s'est manifestée à Ulysse sur la grève où on l'a débarqué, elle lui a expliqué la situation : Il y a les prétendants, tu dois les tuer, il faut que tu trouves l'appui de ton fils Télémaque qui est rentré, d'Eumée le porcher, du bouvier Philaetios, et ainsi tu arriveras peut-être à les vaincre. Je t'aiderai, mais je dois d'abord complètement te transformer. » Comme il accepte sa proposition, elle lui fait voir Ithaque sous son vrai jour, telle qu’elle est en réalité.


Jean-Pierre Vernant
Extrait de L’univers, les dieux, les hommes, éd. Le Seuil, 1999.

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