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: La Mètis et l’hybris (ou hubris ou ubris)

La mètis désigne en grec, non pas l’intelligence, mais une forme particulière d’intelligence et de pensée, fondée sur la ruse, l’astuce, le stratagème, mais aussi la dissimulation, la tromperie voire même le mensonge.
La mètis, rappelle Jean-Pierre Vernant, s’épanouit dans la pensée grecque archaïque qui ne fait pas de distinction entre l’être et le paraître, entre le monde des Idées et le monde sensible. Elle s’applique donc à des réalités mouvantes, instables et ambiguës, qui ne se prêtent ni au raisonnement rigoureux, ni à la mesure précise, ni à la mise en système. Elle renvoie aussi bien au savoir-faire de l’artisan, qu’à l’adresse du navigateur évitant les écueils, ou à l’habileté du sophiste.
La mètis est le moyen qu’utilise le plus faible pour triompher, sur le terrain même de la lutte, de celui qui est théoriquement le plus fort.


Ulysse est, par excellence, le héros de la mètis, prompt à se tirer des situations les plus tortueuses, en multipliant les tours (Homère aime à le qualifier de « polytropos », c’est-à-dire d’« homme aux multiples tours »), en inventant des fables qui captivent et leurrent ceux qui l’écoutent. Il incarne cette habileté intellectuelle, cette débrouillardise, capable de s’adapter aux circonstances, d’anticiper ce qui est sur le point d’arriver et de vaincre les dangers, même si ce n’est pas toujours de façon très franche ni loyale.


Mètis, c’est aussi le nom d’une déesse, première épouse de Zeus et future mère d’Athéna, tel que le raconte Hésiode, dans sa Théogonie. En épousant Mètis, la rusée, Zeus apprend que les enfants qu’elle mettra au monde hériteront d’elle un type d’intelligence qui les conduira à vouloir le détrôner (de la même façon que Zeus avait détrôné Cronos, son père). Pour éviter cela, Zeus va lui tendre un piège et user, à son tour, de la ruse en l’interrogeant : « Peux-tu vraiment prendre toutes les formes, pourrais-tu être un lion qui crache du feu ? ». Et la déesse se transforme en lion. Puis, il ajoute : « Est-ce que tu pourrais être aussi une goutte d’eau ? ». A peine s’est-elle transformée en goutte d’eau qu’il l’avale. Avec Mètis dans ses propres entrailles, Zeus devient la métis en personne. Athéna va donc sortir non du ventre de Mètis, mais bien du crâne de Zeus. Athéna, la déesse inventive et pleine d’astuces, à l’instar de ses parents. Zeus concentre désormais en lui toute la ruse du monde, plus personne ne peut le surprendre. Dès lors, comme le souligne Jean-Pierre Vernant, « Zeus n’est pas seulement le roi, il est le destin qui fait que l’ordre cosmique ne peut jamais être remis en question. Il devient le Metioeis, le dieu fait tout entier métis, la Prudence en personne ».


L’ hybris désigne chez les Grecs, la démesure, l’orgueil, traits que les dieux condamnent chez les humains.
Les Grecs lui opposaient la tempérance, ou modération. Dans la Grèce antique, l’hybris était considérée comme un crime. Elle recouvrait des violations comme les voies de fait, les agressions sexuelles et le vol de propriété publique ou sacrée.


Dans la mythologie grecque, Hybris est une divinité allégorique personnifiant l’hybris.


Si la religion grecque antique ignore la notion de péché tel que le conçoit le christianisme, il n’en demeure pas moins que l’hybris constitue la faute fondamentale dans cette civilisation. On doit la rapprocher de la notion de Moïra (« destin », « part », ou « portion »). Le destin, c'est le lot, la part de bonheur ou de malheur, de fortune ou d'infortune, de vie ou de mort, qui échoit à chacun en fonction de son rang social, de ses relations avec les dieux et les hommes. Or, l'homme qui commet l’hybris est coupable de vouloir plus que la part qui lui est attribuée par la moïra. La démesure désigne le fait de désirer plus que ce que la juste mesure du destin nous a attribué. Le châtiment de l’hybris est la némésis (« destruction »), le châtiment des dieux qui a pour effet de faire se rétracter l'individu à l'intérieur des limites qu'il a franchies.


Dans l’Odyssée et Ithaque, les prétendants pèchent par hybris (comme les Cyclopes et les compagnons d’Ulysse). Ils sont et vont toujours au-delà des limites, au-delà du juste, du sort, que les hommes ne doivent jamais violer. Ils sont aveuglés par Âté (déesse de l’égarement funeste et des actes irréfléchis), qui les possède et les dégrade. Ils ne respectent pas les mendiants et les hôtes, protégés de Zeus. Ils ne vénèrent pas le destin, les signes et les prédictions envoyées par le destin, qu’Ulysse et sa famille respectent religieusement. Ils se moquent des devins : ils ne croient qu’en ce qu’ils voient, qu’à l’instant, et n’imaginent pas que le destin et les dieux s’apprêtent à se venger d’eux. Enfin, ils violent – et c’est une accusation très importante – l’oîkos (la « maison », ce monde clos de biens et de sentiments), auquel, pour les Grecs, pour Ulysse et pour les dieux, il n’est pas possible de porter atteinte.


Dans l'Iliade, parmi les personnages emblématiques de l’hybris, on citera : Ajax, Achille (acharné dans ses combats, XX, 459-504, mais aussi dans la violence de ses passions – son chagrin à la mort de Patrocle) et surtout Diomède qui, tout à sa fureur guerrière, blesse la déesse Aphrodite.


Dans la mythologie, parmi les personnages punis pour hybris envers les dieux : Tantale, Minos, Atrée, etc. Dans la Théogonie d'Hésiode, les 5 races d'hommes (d’or, d’argent, de bronze, des héros, de fer) qui se succèdent sont de même condamnées pour leur hybris.


La conception de l’hybris comme faute renvoie à la morale des Grecs qui valorise la mesure, la modération et la sobriété. L'homme doit rester conscient de sa place dans l'univers, c'est-à-dire à la fois de son rang social dans une société hiérarchisée et de sa mortalité face aux dieux immortels.

Nathalie Mercier

novembre 2010

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