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Les Figurants

mise en scène Jean-Paul Wenzel

: Entretien avec Jean-Paul Wenzel & Compagnie Intermèdes

Extraits de l’entretien accordé à Francine Wohnlich, 28 novembre 2007


Jean-Paul Wenzel : On s’est quittés sur ce travail de fin de Conservatoire en 2001 (stage sur Howard Barker) où on on avait eu un “flash-love”. Je venais de faire une lecture des Figurants, je trouvais ça intéressant pour une équipe. Puis les années ont passé, il se trouve que j’ai continué avec Barker, dans presque toutes les pièces de Barker que j’ai montées, j’ai demandé à quelques-uns d’entre eux de venir me rejoindre. Donc on s’est pas vraiment quittés et puis il y a deux ans et demi ils ont commencé à se rassembler sur cette pièce. J’étais très touché, le temps est un allié, il fait partie de la vie et j’ai eu un très grand plaisir quand j’ai su qu’ils allaient repartir làdessus.


Hélène Hudovernik : Quand tu nous as donné ce texte, tu nous as dit : “Si ce texte vous plaît, allez-y, je vous suivrai, mais c’est pas moi qui en serai la locomotive. C’est pas moi qui vais monter ce texte comme metteur en scène et vous engager comme comédiens”. C’était nouveau pour nous de faire cette démarche.


Jean-Paul Wenzel : Dans cette pièce-là, il y a un collectif qui a du mal à s’organiser, à se faire entendre, une révolution avortée dans l’oeuf, cette difficulté prolétaire à organiser la parole - je trouvais que la proposition était intéressante dans la mesure où je n’intervenais pas comme metteur en scène. J’ai envie en ce moment de dire comment on peut organiser ou réorganiser des collectifs de travail autres que ceux qu’on connaît autour de nous. Sans imiter les collectifs des années soixante-dix, que j’ai très bien connus, qu’estce que ça pourrait être un nouveau collectif de travail ?


Francine Wohnlich : Et ça a donné, très concrètement, les “que faire” (discussions de travail enregistrées et fidèlement retranscrites dans leur intégralité).


Felipe Castro : En fait c’est venu du flottement du début - c’était à nous de monter le projet, mais on savait pas comment faire, alors l’idée est apparue de s’enregistrer, de se retranscrire pour être sûr de ne rien perdre. On a conduit ce processus pendant plus de deux ans.


Francine Wohnlich : De l’extérieur, ça donne l’impression d’une mise en abîme.


Jean-Paul Wenzel : Oui parce qu’à la fin du premier “que faire”, quelqu’un dit : “Mais les figurants, c’est nous finalement”. Et à partir de cette petite épine qui rentre dans la tête de chacun, ça a donné aux “que faire” une vraie consistance.


Francine Wohnlich : J’aimerais bien vous entendre davantage sur cette affirmation “les figurants c’est nous”. Il y a bien sûr tout ce qui touche à votre processus de travail, mais qu’est-ce que vous entendez d’autre là-dedans?


Felipe Castro : On a commencé par réaliser qu’il y a quelque chose, formellement, qui se ressemble beaucoup, surtout dans l’espèce de bordel de la pensée dans lequel on était, et dans lequel ils sont eux, sur le plateau, une fois qu’ils se retrouvent seuls, à se demander : qu’est-ce qu’on fait ?


Hélène Hudovernik : Ils essaient de prendre possession d’un théâtre, qui est aussi ce qu’on essaie de faire, nous jeune compagnie, et il y a aussi nous, figurants d’une vie, figurants d’une société, qu’est-ce qu’on peut faire, comment on peut faire bouger les choses ?


Jean-Paul Wenzel : Ils ont empoigné la matière d’une façon plus riche et plus profonde que si un dramaturge et un metteur en scène avaient travaillé un mois sur la pièce. C’était beaucoup plus charnel.


Hélène Hudovernik : Ce travail dramaturgique a été effectivement un grand bordel mais on a pris le luxe de se perdre. On a écrit des textes, on a essayé des choses, chacun y allait de son petit bout d’idée, on s’est permis d’aller jusqu’au bout.


Jean-Paul Wenzel : Le nouveau collectif était en marche. Vraiment, physiquement en marche. C’est ça qui m’a plu quand j’ai reçu ça de loin, et c’est vrai que c’était vraiment, concrètement, une autre manière d’envisager de monter une pièce, où tout le monde avait une part de réflexion.


Hélène Hudovernik : On avait bien commencé par parler des autres, parler des grandes choses, de l’histoire, de la politique, de ci, de ça, de Sinisterra, son époque, son milieu, mais ça n’a pas marché, on s’est perdu, on ne savait plus ce qu’on racontait. Alors on est parti de nous.


Jean-Paul Wenzel : Et du coup, là, on avait l’expression d’une génération. C’est le point essentiel et capital de ce projet. Pour moi, qui travaille beaucoup dans des écoles de théâtre ou avec de jeunes acteurs, j’ai trouvé que ça pouvait être l’expression d’une génération, son rapport au monde, au politique, à l’engagement, etc. C’était interne, intérieur. On pouvait partir d’une façon honnête, de l’intérieur.


Francine Wohnlich : Ce projet n’est pas seulement l’expression d’une génération, il invite aussi à un dialogue entre les générations théâtrales.


Felipe Castro : Comme il fallait engager d’autres acteurs, on a tout de suite eu le désir de ne pas faire ça entre nous, jeunes diplômés. On avait envie de raconter ensemble avec d’autres, avec des personnes différentes, avec un rapport au théâtre qui ne serait pas le même. On se retrouve avec une équipe très hétéroclite mais vachement belle.


Francine Wohnlich : Vous travaillez beaucoup sur des écritures contemporaines. Qu’est-ce que c’est pour vous, Sinisterra, comme écriture ?


Jean-Paul Wenzel : Cette pièce me semblait un peu sortir de l’écriture habituelle de Sinisterra. Il pose un problème – il écrit ça dans les années quatre- vingt – qui est très très bizarre : comment un marxiste pouvait-il écrire une telle désolation sur une prise possible de pouvoir qui n’arrive pas à se prendre parce que les gens n’ont pas la parole ? C’est un pièce à rebours, une façon absolument désastreuse de voir les révolutions. J’ai rarement lu une pièce qui montre ça. Il y a en même temps une drôlerie théâtrale évidente. Le propos - des figurant enferment les acteurs et veulent prendre le pouvoir mais ne savent pas que faire, parce qu’ils n’ont pas le langage, ils n’ont pas la conscience politique, ils n’ont rien, quoi, que leur pauvre costume de figurants - c’est une vision un peu… violente de la révolution. Ça propose au public quelque chose d’assez simple, d’apparemment drôlatique, et puis on arrive dans des spirales inconscientes assez incroyables, on tombe dans du Beckett, dans du Laurel et Hardy, on ne sait plus où on est. J’ai trouvé que c’était un matériau très désarçonnant. Ça pouvait donner matière à réflexion pour une équipe.


Hélène Hudovernik : J’ai l’impression que l’écriture n’est pas sacrée, on n’est pas dans du Shakespeare. On se permet des écarts, des changements. On est dans un respect de l’auteur et de sa pensée, mais on n’est pas dans un respect tel quel de ses mots, de son texte.


Francine Wohnlich : Comme première impression, à la lecture, on se sent face à une forme informe.


Jean-Paul Wenzel : Sinisterra a une qualité incroyable : il écrit des figures magnifiquement construites qui ont toutes des traits de caractère extrêmement précis, et il ne se perd jamais. Moi qui écris, ce tissage de figures, de personnages, qui n’arrêtent pas de parler pour ne rien dire, justement, ça ne semble rien et c’est énorme. C’est une écriture d’ordre réaliste, mais c’est extrêment bien fait. C’est vrai que c’est informe, ça part dans tous les sens, mais.. c’est terriblement habile dans la construction pour faire la démonstration de gens qui n’ont pas la parole. Je trouve ça très balèze.


Hélène Hudovernik : L’air de rien.


Jean-Paul Wenzel : Oui, le poème n’est pas mis en avant. Tout est en creux, à décortiquer.


Francine Wohnlich : …. Et théâtralement, comment traitez-vous cela ?


Jean-Paul Wenzel : C’est un peu tôt pour répondre à ça. Théâtralement on prend la matière à bras le corps, et esthétiquement on est parti sur une chose un peu Renaissance. Je trouve ça assez rigolo, toute cette parole si apparemment banale dans des costumes d’époque. On ne va pas dans l’intellectualisation– parce qu’il y a cinq ou six niveaux de compréhension de cette pièce –on va la laisser agir pour que le plus de niveaux soient perceptibles par le public. On ne va pas l’orienter, mais l’ouvrir au maximum de possibilités de sens dans la perception du public. C’est tout ce qu’on peut dire pour le moment.


Felipe Castro : Je crois qu’il y a quelque chose qu’on garde à l’esprit, c’est l’idée du pied de la lettre. Les propositions, les situations que Sinisterra propose, on n’essaie pas d’être plus intelligents qu’elles, ni de les transposer. Les situations sont ce qu’elles sont, on les assume naïvement, de la façon la plus terre-à-terre possible. Du coup, on gagne la drôlerie en étant…


Jean-Paul Wenzel : … au plus près de la situation à chaque fois. On s’aperçoit que ces situations sont de plus en plus troubles, équivoques, que les sens émergent de façon multiple, si on va à fond dans le matériau.


Hélène Hudovernik : Sinisterra a écrit un appendice pour les comédiens qui vont monter les figurants dans lequel il dit : “c’est à vous d’inventer des choses”. Ça aussi on le prend au pied de la lettre. Il donne la responsabilité à la compagnie qui va monter ce texte de proposer quelque chose, et ça amène matière à réflexion.


Francine Wohnlich : Cornelius Castoriadis dit quelque chose comme “il est ahurissant de penser que des intellectuels parlent de l’époque contemporaine comme d’une époque d’individualisme alors que ce qui est à déplorer, c’est précisément la disparition des individus véritables devant le conformisme généralisé”. Qu’en pensez-vous ?


Jean-Paul Wenzel : Je trouve que ça fait écho, tel que vous venez de le dire, très très fort. La grosse contradiction de la société, du monde qui nous entoure, c’est l’uniformisation de l’habillement, de la pensée, et la grande critique de l’individualisme. C’est une chose apparemment contradictoire et qui arrange bien nos gouvernants. C’est pour ça que cette idée du néo-collectif, je trouve que c’est passionnant, aujourd’hui.


Francine Wohnlich : Vous tentez de prendre la parole en tant que comédiens, et en même temps ça se fait dans un mouvement de collectif. Il y a un mouvement double.


Hélène Hudovernik : Oui, on est passé par toutes ces questions : comment se faire entendre dans le groupe, même si on n’est que cinq, même si on se connaît très bien, même si on se sent en sécurité, comment prendre la parole ? Comment dire non alors que tous les autres disent oui, comment prendre les choses en main, comment déléguer? Ça a été à des moments violent d’être confronté à ça. Il fallait avancer ensemble et on s’est rendu compte que que l’individualité est nécessaire là-dedans, plus que nécessaire, et qu’il faut la respecter. Il y a eu des périodes où on voulait être tous égaux, ou tous dans une même pensée, et c’est complètement utopique. On est passé par tous ces questionnements individuels et collectifs pas toujours agréables ni simples…


Jean-Paul Wenzel : … Et le théâtre est bien le lieu de ça ! Si le théâtre n’est pas le lieu de ça, alors où il va être ? Donc c’était retrouver ce plaisir-là, cette difficulté énorme, mais ce plaisir-là.


Hélène Hudovernik : Plus que sur n’importe quel autre travail, je suis très touchée de voir comme on est différents les uns des autres, comment chacun s’empare du texte, avec ses idées, avec ce qu’il est, et peut-être que c’est parce que Sinisterra en parle - ça me touche beaucoup plus que d’habitude.


Jean-Paul Wenzel : On est au coeur de la problématique de la pièce, donc forcément ça rejaillit, ça agit. Et c’est joyeux. C’est très important que le travail se fasse dans l’invention, dans le plaisir, le plaisir de faire ensemble. Et ça s’adresse vraiment à tous les publics. Ça entre dans la tranche du théâtre populaire que je fais depuis vingt ans. Populaire compliqué, une pensée un peu complexe, mais dans une évidence, pour tous.

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