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La Maison des morts

+ d'infos sur le texte de Philippe Minyana
mise en scène Robert Cantarella

: Conversation

Contes et Légendes de l’humanité


Conversation en compagnie de Philippe Minyana autour de la création de La Maison des morts, avec Laurent P. Berger, scénographe, Cécile Feilchenfeldt, costumière et Julien Fisera, dramaturge et collaborateur à la mise en scène.


Julien Fisera. Cette conversation, alors que La Maison des morts est en préparation au Théâtre du Vieux-Colombier s’articulera, sur la proposition de Philippe Minyana, autour de ces trois notions : « mystère laïc », « contes et légendes de l’humanité » et enfin, « épopée de l’intime ». De ces trois expressions, qui s’apparentent aussi à des définitions, « mystère laïc » est celle qui, semble-t-il, pourrait le mieux s’appliquer à La Maison des morts. Peux-tu nous rappeler sa signification ?


Philippe Minyana. Un mystère est une représentation théâtrale du Moyen Âge qui réunit des figures emblématiques afin de reconstituer la vie d’un saint ou d’un apôtre. Écrits entre le XIVe et le XVIe siècles, il n’existe que très peu de mystères laïcs. Ce qui me touche dans cette forme théâtrale, c’est la manière dont on va cadrer le récit pour offrir au public le parcours d’une vie considérée comme exemplaire. En scène, les figures deviennent allégoriques, dépositaires des grands mythes et des grands maux de l’humanité.
Cette expression m’est apparue en 1995, au moment de l’écriture de Drames brefs 1, une pièce qui met en scène des figures symboliques, « allégoriques » : les époux, les épouses, les pères, les mères, les fils, les voisins, les voisines… Ces textes, qui sont donc des « drames », offrent un mélange de clownerie et de tragédie, de comédie et de farcerie.


J.F. Faut-il voir dans cet emprunt à une forme théâtrale du passé, un retour à un certain archaïsme ?


P.M. La Maison des morts présente une forme simplifiée, parfois même naïve. Il n’y a rien de sacré ni de religieux. Il n’y a dans mes pièces aucune intervention divine sinon, de manière parodique. Je joue de cette absence de dimension spirituelle : « Sous le regard de Dieu, dit la Dame à la petite voix dans le premier mouvement de la pièce, nous voici ainsi que deux gros tas de merde ». J’ai recours volontairement dans cette pièce à un vocabulaire d’images très simple, voire trivial.
C’est dans les couloirs, les chambres, les salles à manger, que se négocie le drame des humains. Le drame se présente d’ailleurs toujours sous des formes identiques : tentatives de suicide, divorces, désirs inassouvis, frustrations… et tout cela, à la surface de la Terre. Mes figures n’engagent pas leurs âmes dans une aventure spirituelle vers une hypothétique rédemption. Encore une fois, s’il est évoqué le purgatoire dans La Maison des morts, c’est de manière profane, par la bouche du Prophète, qui n’est rien d’autre qu’une figure du grotesque. Sa prophétie n’a donc aucune valeur.


J.F. Michel Corvin parle dans ton œuvre de « matérialité poétique » ; comment agences-tu ce que tu nommes des « allégories », dans un univers extrêmement familier ?


P.M. Drames brefs 1, Drames brefs 2 et La Maison des morts appartiennent à une même période d’écriture qui vise la légende par le biais de la stylisation. Je ne garde en effet que ce qui est essentiel au drame. Pour reprendre le vocabulaire cinématographique, je dirai que je cadre serré, en gros plan.
J’aime aussi la notion de « crèche ». Je considère la crèche comme un endroit du rituel, mis en forme dans un espace fermé -une boîte-, dans laquelle chacun a une fonction qui le relie à l’autre.


J.F. Laurent, la scénographie fait-elle écho à ce que Philippe nomme « mystère laïc »?


Laurent P. Berger. Avec le metteur en scène Robert Cantarella, nous avons imaginé une scénographie qui puisse répondre au mieux aux différents espaces que propose Philippe Minyana dans la pièce. J’ai dessiné un espace concret qui, d’un certain point de vue, est aussi une crèche, mais une crèche laïque. Concrètement, l’aspect laïc se traduit par le fait que le décor ne se transforme pas tout seul : c’est aux comédiens de le faire évoluer. Il n’y a pas de force au-delà d’eux ; c’est une logique de plateau autonome.


J.F. Ta proposition scénographique, que tu présentes comme un espace concret, doit cependant beaucoup à la présence d’un cadre.


L.P.B. Au cours du travail, le maître-mot a en effet été celui de « cadrage ». Il faut, comme dit Philippe, sans cesse recadrer. Pour La Maison des morts, mon approche s’est faite quasiment in situ. La salle du Théâtre du Vieux-Colombier a une courbe de visibilité du public très particulière qu’il m’a fallu bien évidemment prendre en compte. Mon projet scénographique s’appuie sur un recadrage très spécifique : un recadrage horizontal qui impose un autre regard. Transformant les proportions architecturales du cadre de scène, je redonne ainsi une échelle humaine au plateau. L’ouverture presque cinématographique que j’ai imaginée va préciser le geste de l’auteur en permettant un rapport concret entre le plateau et le public.


P.M. L’espace de jeu que tu proposes semble osciller entre minimalisme et hyperréalisme. Tu t’entoures d’objets réalistes, dans une maison qui paraît arrachée au réel.


L.P.B. La question, sans cesse renouvelée, est celle de savoir comment représenter le réel sur un plateau, dans le cadre de la représentation théâtrale. Cet échantillon de réel, posé sur un plateau de théâtre, est mis en représentation mais à travers le filtre du cinéma. L’espace de jeu n’est pas celui d’une maison, comme tu la décris, « arrachée au réel », mais plutôt d’un décor de studio de cinéma, avoué comme « illusion du réel ».


J.F. Cécile, vas-tu également privilégier cette approche pour les costumes ?


Cécile Feilchenfeldt. Pour La Maison des morts, j’ai le sentiment qu’il faut considérer les costumes non pas comme des vêtements mais comme des accessoires. J’attribue à chaque vêtement une fonction. En cela, je prends aussi de la distance par rapport au réel. Le mouvement part du réel mais c’est l’écart avec celui-ci qui compte.


P.M. Il y a effectivement dans La Maison des morts de nombreux éléments qui seraient de l’ordre du magique ou du merveilleux. Certains aspects nous paraissent familiers alors qu’ils ne correspondent pas avec exactitude à la réalité. Le familier devient étranger, ou inversement.
Si je considère par exemple le premier mouvement, le spectateur découvre la figure principale, la Femme à la natte, interprétée par Catherine Hiegel, obsédée par des voix qui semblent au premier abord mystérieuses. Par la suite, le spectateur se rend compte qu’il s’agit non pas d’une voix d’essence divine, mais de celle du secrétaire général de l’USTA, l’entreprise dans laquelle elle est embauchée. Il s’agit donc de la voix banale et familière de l’administration.
Dans le cinquième mouvement, la Femme à la carapace, interprétée par Catherine Ferran, demande à la Femme à la natte un verre. Et, comme dans un numéro de prestidigitation, le verre apparaît dans sa main. Ce détail signe un moment important de la pièce. L’étrange dans le familier, voilà ce que je développe dans La Maison des morts.


J.F. Philippe, tu évoques souvent l’expression « contes et légendes de l’humanité » comme le titre général de ton œuvre. En quoi cette dénomination recouvre également La Maison des morts ?


P.M. Dans les contes, on franchit les limites du réel pour accoster à des rives plus singulières où le monde est autre, où les humains deviennent des créatures, où certains événements mineurs deviennent des tragédies, et où règne le merveilleux. Le conte est toujours au service d’une perception plus juste des hommes et de leurs agissements. Avec La Maison des morts, j’ai tenté d’éclairer les zones d’ombre de l’humain.


J.F. Dans la pièce on retrouve en effet le processus du conte, où dans les premières pages, on reconnaît quelque chose de familier, mais en même temps, on sent pointer des perturbations. Ces perturbations sont liées à des voix, à des signes, à tout cet ensemble dit du « sur-réel ». Comment est-ce que du familier, surgit l’inattendu ?


P.M. Ce qui est troublant, c’est l’écart entre « cela est vrai » et « cela n’a pas l’air vrai » (d’ailleurs, de véritables lettres ont servies de matrice pour l’écriture de ces voix accusatrices).
Le spectateur est plongé dans un environnement familier et soudain, il se demande s’il a bien entendu ! C’est intéressant au théâtre de cultiver cette zone d’étrangeté.


J.F. Tu évoques la légende et en effet, la pièce est construite autour du parcours d’une figure unique. La Maison des morts s’apparente alors à la légende de la Femme à la natte. On retrouve dans cette œuvre les mystères, qui ont également inspirés la dramaturgie à stations des grands écrivains expressionnistes comme Georg Kaiser ou plus tard, August Strindberg.


P.M. La Femme à la natte accomplit un périple : le spectateur suit le parcours de cette femme qui, au début, a une vingtaine d’années, et lorsque s’achève La Maison des morts, en a près de quatre-vingt-dix.
Cette figure, comme dans un drame à stations, passe de pièce en pièce, de maison en maison. Elle va, épiant par les fenêtres, rencontrer d’autres désastres, d’autres saccages, d’autres meurtres, d’autres dysfonctionnements. Cette figure de la Femme à la natte passe par un parcours fait d’offenses : elle est offensée par l’administration qui la prive du droit à la maladie, elle est violentée par les membres de sa famille (on peut y lire un acte incestueux) puis, aux marges de la folie, elle s’en va avec sa voisine et son bébé sur les routes. On la retrouve plus tard employée de ménage chez une voisine. Enfin, son enfant demande la mort, elle le tue. Après avoir demandé pardon à la communauté, c’est-à-dire à nous, spectateurs, elle attend à son tour la mort. Après avoir vécu toutes les misères qui sont données sur terre à l’homme de vivre, elle se balance sur sa chaise et attend la mort. C’est une histoire non pas morale mais néanmoins exemplaire.


L.P.B. En ce qui concerne la scénographie, il m’a fallu inventer un espace qui puisse accueillir ces formes de représentation que sont la marionnette et le mannequin. Ma ligne directrice consiste à opérer un transfert de la marionnette au corps du comédien et à rendre le corps de l’acteur, marionnette.
Au cours de la pièce, l’étrangeté provient des différents filtres que l’on applique à cet espace de jeu unique et qui modifient les conditions d’apparition de ces figures dites familières. J’avais également envie de transformer les conditions de l’espace d’un point de vue climatique. Le déplacement de la Femme à la natte de station en station se fera dans cet espace unique mais par une transformation de son environnement sensoriel. J’ai estimé qu’il était nécessaire que ce périple soit marqué par la température passant du chaud au froid ou encore par des odeurs que l’on diffuserait du lointain et qui, à nouveau, modifieraient la perception du spectateur.


P.M. L’aspect du populaire, du rural est très important pour moi. Cette destinée ordinaire, quelque peu différente tout de même puisqu’elle renvoie au meurtre et à l’inceste, nous parle à nous les humains.


J.F. La pièce pose la question de la communauté. Dans cet espace très ouvert, qui évoque notre rapport au cinéma, comment imagines-tu Laurent le rapport au public ?


L.P.B. C’est une question d’autant plus délicate au Théâtre du Vieux-Colombier, avec son rapport frontal très appuyé. Retrouver une communauté c’est, dans ma proposition, tout l’enjeu des sons issus du réel, des climats, qui forment un ensemble d’éléments que nous aurions tous en partage, comédiens et spectateurs.


J.F. Enfin, qu’entends-tu Philippe par « épopée de l’intime » ? Que recouvre cette expression qui paraît à première vue un assemblage contradictoire ?


P.M. L’expression est de Roland Fichet, commentant une de mes pièces. L’assemblage surprenant de ces deux termes répond à mon projet d’écriture. Une épopée c’est la reconstitution d’une existence de a à z, en principe marquée par des exploits guerriers or là, il s’agit bien d’une existence reconstituée, non pas d’un personnage glorieux mais d’une « petite dame ordinaire ».
De la même façon, je convoque des figures et non pas des personnages. Dans La Maison des morts, le spectateur fait la connaissance d’une figure qui s’active dans le temps et qui se heurte à différentes inévitables collisions. Avec un personnage, on aurait les tenants et les aboutissants de ses actes, ce qui n’est pas le cas ici ; il n’y a pas de psychologie. Comme dans les épopées, je n’ai sélectionné que les moments forts de son existence. On a uniquement les orages, le reste est passé sous silence.


J.F. Le montage crée une brusquerie qui amène également le grotesque, un trait caractéristique de ton œuvre.


P.M. Il y a dans cette pièce la rencontre du mélodrame, du drame et de la farce. Ces trois composantes se retrouvent toujours : on tourne les pages et en effet, brusquement, les figures sont ailleurs.
On suit dans La Maison des morts la grande cohorte populaire des figures éternelles et universelles. La fameuse épopée de l’intime c’est le rendez-vous des grandes figures qui nous représentent.


Propos recueillis par Julien Fisera
Décembre 2005

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