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Couverture de Kinky Birds

Kinky Birds

de Elsa Poisot


Kinky Birds : Lettre aux élèves et aux enseignants

par Elsa Poisot

Accompagnement du Prix Sony Labou Tansi 2018.

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Chers professeurs, chers lycéens


C'est une bien étrange période pendant laquelle je vous écris. Un dimanche entre deux tours de l'élection présidentielle française. Je suis attablée avec mon vieil ordi dans un petit café à Bruxelles, tout près de chez moi. Parce qu'il fait enfin beau et que j'ai eu envie de percevoir la lumière du soleil pendant que je vous écris. C'est jour de fête, ce soleil. Et puis vous écrire à quelque chose de réconfortant.


C'est très émouvant pour moi de savoir que vous allez lire cette pièce, parce que ce que je retiens du lycée avant toute chose, c'est que c'est la période où j'ai participé à mes premiers ateliers de théâtre. Celle où je me suis rendue poreuse au monde et où j'ai commencé à essayer activement de le comprendre et de le formuler. Je retiens ça et aussi que c'était la guerre en Yougoslavie. L'horreur d'un pays qui se déchire. Familles contre familles, clans contre clans.


Comme dans la pièce, j'ai l'impression de vous apercevoir de la fenêtre d'un train qui ne bouge peut-être pas. Je revois Mme Beaulieu, ma professeur de Français qui nous rendait nos copies avec des traces de tasses de café et une odeur de tabac froid et tous mes camarades, nos prises de becs, nos amours, nos engueulades, nos engagements, notre intensité, notre lucidité, notre radicalité. Vous remplissez un train tout entier. J'aimerais tellement vous/me dire aussi que « tout ira bien ». Alors je croise les doigts.


C’est par l’écriture d’une scène inspirée d’une réalité maintes fois vécue, dans le métro que le projet Kinky Birds a débuté. J’ai choisi de fictionnaliser cette situation, de la pousser hors de son cadre. Parce que je suis métisse, on spécule souvent sur mes origines, on m’aborde dans une langue inconnue comme si elle était mienne, on m’interroge sur mes ascendances, on fantasme sur mes valeurs culturelles ou mon comportement. Alors, j’ai mis dans la bouche des deux personnages tout ce que j’avais vécu mais aussi rêvé d’entendre. Pour voir ce qui allait advenir. Très vite, d’autres situations de confrontations quotidiennes dans les transports en commun se sont bousculées. J’ai continué à écrire d’autres scènes qui questionnaient aussi le rapport à l’autre. Y compris le mien. Un jour, dans une ville où j’avais écrit, dans un métro que j’avais fréquenté, où j’avais observé des passagers, une femme a été agressée. Pendant une demi-heure. Sans que personne ne réagisse. J’ai cherché alors à comprendre comment une telle chose avait pu advenir. Pour dépiauter l'événement, j'ai creusé, je me suis renseignée, notamment sur les neuro-sciences. Ce que j'y ai trouvé m'a fascinée, et réconciliée avec l'être humain aussi. Parce que ça m'a permis de prendre de la distance.


J’ai écrit cette histoire et je l'ai mise en scène parce qu’elle raconte ce qui me préoccupe et que je crois que ces préoccupations sont partagées. J'espère donc qu'elles feront aussi écho chez vous. Les comédiens avec lesquels j'ai travaillé, pour lesquels j'ai écrit la pièce m'ont fait redécouvrir ma propre écriture pendant les répétitions, ça a été un bonheur. Ensuite le public, les réactions, l'expérience collective, l'éphémère et l'instantané, les comédiens qui s'amusent, s'approprient l'histoire qui déjà ne m'appartient plus… tout n'a fait que grandir cette joie.



L'expérience des lecteurs, c'est quelque chose que je ne connais pas encore. C'est un retour à l'expérience solitaire de l'écriture. Et si on me précise qu'ils sont 1000, aux quatre coins du monde, qu'ils ont la fougue de l'adolescence, alors je dois vous le dire, ça me ravit littéralement, ça me saisit. J'aimerais être là, partout à la fois, pour vous entendre débattre, penser, critiquer, jouer, reformuler, ré-inventer. Nous avons animé beaucoup de débats après les représentations et je suis toute prête à vous répondre, à entendre ce qui vous traverse, j'ai très envie que vous le partagiez avec moi. Parce que je pense que je vais beaucoup apprendre de ce que vous allez y voir. Et que ça ne fera que me donner envie d'aller plus loin pour la prochaine pièce. Alors, bonne lecture à tous, au plaisir d'avoir vos retours, ...et que tout aille bien.


P.S J'avais envie de partager avec vous un moment drôle : J'ai envoyé ma lettre au tout dernier moment, comme on rend en retard une copie. Parce que j'ai pris le temps avant de l'envoyer à mon vieil ami de lycée qui est devenu professeur de français. Il me l'a rendue avec des corrections et des petites modifications en couleur. J'ai failli le laisser tel quel tant la mise en abîme m'a fait rire. Vous voyez, je vous attends avec bonheur et dans les mêmes dispositions



Elsa Poisot
Avril 2017


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