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Soudain l'été dernier

mise en scène René Loyon

: Note de la traductrice

Soudain l’été dernier : dès le titre, on a le coeur qui bat. « L’été dernier », c’était hier, la saison des voyages et des amours. Mais dès le premier mot, « soudain », on pressent l’irruption du drame. Ou plutôt, le drame a déjà eu lieu, puisque c’était l’été dernier. Ce que nous aurons, c’est le récit du drame. Comme dans la tragédie, jadis. Dans sa vérité ? Oui, mais une vérité que l’on s’efforce d’étouffer, et en cela le drame est actuel : nous en voyons tous les jours, de ces journalistes ou écrivains ou cinéastes courageux jetés en prison ou assassinés, sur tous les continents, pour avoir voulu protester, dénoncer, résister, ou tout simplement chanter le désir de liberté. Et l’asile psychiatrique a trop souvent servi, sert encore trop souvent, de prétexte, dans trop de pays, pour parquer, neutraliser, bâillonnner ceux ou celles qui dérangent. Dans l’espace de l’enfermement psychiatrique, comme dans l’espace interstellaire, on n’entend pas les cris.
Qui a l’argent a le pouvoir, en particulier le pouvoir de faire taire. Et celui de donner au mensonge l’autorité de la parole écoutée. Cela aussi, c’est une réalité familière. Mais c’est par la voie de la fable que Tennessee Williams nous la conte, la fait vivre sous nos yeux. Car Williams n’est pas un tribun, un déclamateur, c’est un poète. C’est par l’enchantement des images et de la langue qu’il transcende le fait divers. Il joue sur la blancheur immaculée des costumes ou implacable de la lumière, sur le déroulement d’un phrasé mélodique, sur les métaphores - le jardin d’intérieur aux plantes carnivores, les oiseaux dévoreurs de tortues des Îles Galapagos, Cabeza de Lobo - pour parler des passions sexuelles qui font qu’on dévore et qu’on se laisse dévorer. Littéralement, dit le poète.
L’expression, souvent galvaudée « théâtre de la cruauté », vient en mémoire quand on lit, à plus forte raison quand on traduit pour la scène Soudain l’été dernier . C’est un lyrisme lancinant qui, dans le Garden District de la ville du jazz, joue sur les cris rauques de la jungle ou sur la musique frappée sur des boîtes en fer-blanc. Qui joue sur quelques images fortes et contrastées, « rue aveuglante, chauffée à blanc », « horde de petits moineaux noirs déplumés ». Qui joue, aussi et surtout, sur une progression lente, au rythme calculé au millimètre, de la découverte de la vérité. Peu de mots, qui reviennent, en litanie. « Vous ferez ce que je vous demande ? – Oui, j’essaierai. – Vous raconterez la vraie histoire. – Oui, la vraie histoire. – L’histoire vraie de vraie… »
Prendre tout son temps, écouter dans une sorte de transe la parole qui se libère. Et entendre, dans sa profondeur méditative, une dernière réplique (car, ne l’oublions pas, nous sommes au théâtre) en forme d’interrogation et d’incertitude : et si cette jeune fi lle disait la vérité ?

Marie-Claire Pasquier

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