theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Ricercare »

Ricercare


: Cinégraphie

Commentaire de Julien Rouyet (extrait - novembre 2008)

Cinéaste suisse, Julien Rouyet est diplômé de l’École Cantonale des Arts de Lausanne. Il a obtenu le Léopard d’Or du court-métrage pour son film La Délogeuse au Festival International du Film de Locarno en 2008.

Voir en Ricercare un film est facile, presque naturel. C’est une pièce visuellement forte. Je pense d’abord aux personnages et aux situations, mais aussi à l’univers et aux décors de la pièces, qui font penser à un film de Tarkovski: cette maison triste et désuète, peuplée de jouets abandonnés.


Au cinéma, on tirerait sans doute parti de l’orangerie ou des alentours de la maisons pour y situer une partie de l’action : je pense aux herbes hautes du jardin qu’on imagine à l’abandon. La lumière n’est pas froide. Au contraire, on la sent douce et chaude. Un soleil d’éternelle fin d’après-midi, qui rend les visages lumineux. Filmer Ricercare nécessiterait, je crois, l’utilisation d’une esthétique très descriptive du monde où évoluent les personnages : la maison et les objets sont tristes et vides. Une sorte d’inventaire implacable.


Par contraste, les parties fictionnelles, souvenirs et rêves, appellent une mise en image beaucoup plus abstraite. L’utilisation du super 8 est intéressante de ce point de vue-là. Cette pellicule confère à l’image un statut particulier que l’on rattache immédiatement au sentiment d’un moment disparu. Mystérieusement, le super 8 embellit l’instant filmé. C’est aussi, je crois, parce que le film super 8 est généralement muet ; cette particularité peut conférer à la séquence du suicide de la mère, par exemple, un sentiment inquiétant.


Quant à Ricercare, c’est certainement une œuvre baignée de mystère. Il y a d’abord ce lien invisible entre la mort de la mère de Sophian et de Mahaut et l’absence de celle d’Émilien. On ne peut pas comparer les deux situations, mais elles n’en demeurent pas moins convergentes. Convergentes vers quoi ? Mystère. Il y a aussi le monde des souvenirs et des rêves. Mystérieux parce qu’incomplet. Il me semble entendre la voix d’Elvire sans pouvoir contempler son image. Et je vois l’image de la mère pendue au noyer d’Amérique sans percevoir aucun son. Le silence.


Et que dire, pour finir, du personnage d’Émilien et du quatrième tableau ? Quoi de plus mystérieux que le monde invisible d’un aveugle ? Le black out final n’est-il pas le dernier refuge ? L’ultime recours de la fiction face à la mort ?


L’atmosphère générale de ta pièce me rappelle enfin les films d’Arnaud Desplechin. Les personnages me semblent réussis parce qu’ils ne sont pas prisonniers de la trame narrative : en quelque sorte, l’avant-plan constitué par le portrait vivant de quatre personnages se détache clairement de l’arrière-plan tragique.

Julien Rouyet

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.