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: 1979, ‘L’affaire Graindorge’

J’ai 11 ans, je passe mes vacances en Toscane avec mes parents et des amis. Mes parents ont décidé de se séparer mais je ne le sais pas encore.
La lumière est belle sur les oliviers vert-de-gris. Je me suis fait des petites copines italiennes. « catso », elles ont des chats qui dorment à l’ombre des tonnelles.
Quelquefois, on va visiter Florence, ou Sienne. J’ai encore le souvenir de cette pizza sur la place de Sienne en forme de coquillage, et les pigeons et cette lumière toujours qui tape sur les murs en fin de journée, lumière ocre et dorée qui rend la vie douce et paisible.
Ma cousine aux cheveux blonds de fée est venue nous rejoindre quelques jours, toutes les italiennes s’arrêtent pour caresser ses cheveux en chantonnant « bella, bella » Au retour des vacances, nous nous arrêtons à Arlon. Il y a mes parents, mon frère, moi, Jean-Claude, Danièle et leur fille. Nous mangeons au restaurant. Les adultes lisent le journal ; au-dessus de ma tête, des grappes de raisin vert.
Fin de journée, nous arrivons dans notre rue. Mon père se gare, des hommes arrivent aussitôt. Ils sont plusieurs autour de la voiture. L’un deux, sans doute le chef, montre un document à mon père. C’est un gendarme, ou un flic. Mon père est en état d’arrestation. Mon frère pleure. Les hommes emmènent mon père vers notre maison, nous ne pouvons y entrer alors ma mère nous conduit chez mon oncle et ma tante…
Deux jours plus tard, c’est la rentrée des classes. Je porte sur mes épaules le poids d’un secret que je ne comprends pas. Mon père est en prison , on ne peut ni lui parler, ni communiquer avec lui. Je retrouve mes amis d’école, je reprends mes cours de solfège, de violon. La vie reprend son cours mais chaque jour porte une interrogation : quand mon père sera libéré? Quand cessera-t-on de parler de lui ? Car plus le temps passe, plus cette histoire personnelle devient une affaire d’état : on parle de lui dans les journaux, à la radio, à la télévision ; des manifestations sont organisées pour sa libération. Je deviens la fille d’un avocat dont tout le monde parle, accusé d’avoir aidé un de ses clients à s’évader, accusé aussi par la suite de faire partie d’un réseau d’extrême gauche. Les mots ‘ Bande à Baader’ ‘François Besse’ ‘terrorisme d’extrême gauche’ me trottent en tête. Avant que ne commence son procès le 6 décembre, on disait qu’il risquait 10 ans de prison ferme. J’en avais 11, j’imaginais le voir sortir l’année de mes 21 ans.
Mon père est resté 4 mois en prison. Il fut libéré la veille de Noël puis définitivement acquitté. Depuis cette année 1979, je suis ‘la fille de’. Les gens, en entendant mon nom, me demandent si je suis la fille de l’avocat et à leur intonation ou à leur regard, je peux savoir s’ils sont pour ou contre ‘Michel Graindorge’ et la fille qui va avec…

Catherine Graindorge

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