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Quartett

mise en scène Fargass Assandé

: Analyse

Heiner Müller écrit Quartett en 1980, d’après Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos publié en 1782. Bien après d’illustres devanciers, nous convoquons à notre tour les héros noirs de cette tragique comédie libertine.


Encore un autre Quartett ?
«Que dire qui n’ai été déjà énoncé ou dénoncé par… Patrice Chéreau, Jean Jourdheuil, Jean- François Peyret, Matthias Langhoff, Robert Wilson,…?»
A-t-on entendu depuis que notre intention a été formulée ?
On s’est même interrogé sur la singularité et l’audace de notre choix : mettre en scène Quartett, le jouer en Afrique avec des Africains, tant l’oeuvre de Heiner Müller, paraît ancrée dans une époque qui marque et dit une révolution spirituelle et sociétale en Europe.
Nous disons que le cadre africain, continent où le corps et la pensée libertine sont dits tabous, univers de la symbolique culturelle et sociétale où s’enchevêtrent pudeur et hypocrisie, ne modifie en rien la pertinence du sujet. Bien au contraire, il matérialise le caractère universel du texte de Heiner Müller.
Et si on se hasardait à investir Quartett pour essayer de comprendre l’érotisme et la sensualité… le libertinage dans cette Afrique qui depuis toujours, exhibe, célèbre le corps mais le sacralise au point d’en faire un tabou inviolable ?


Pourquoi pas ?
Mais de Quartett, peut-on vraiment parler de sensualité et d’érotisme quand le langage et les actes prennent paradoxalement un accent pornographique ? Ici, il n’est pas question d’amour ou de sensualité… mais de désir bestial. Aucune chaleur ne se dégage de ces jeux amoureux. La froideur de la jouissance dévoile la souffrance dans la relation de domination qui épanouit les protagonistes dans ces huis clos. Domination et soumission sexuelle…
«Avez-vous un coeur Valmont, depuis quand ?»
«Pourquoi vous haïrais-je. Je ne vous ai jamais aimé.»
«Je suis tout à fait froide, Valmont.»
«Ce que vous appelez amour est l’affaire des domestiques.»
«Le bonheur suprême est le bonheur des animaux.»
La question de la religion est très importante dans Quartett. Dieu est révélé comme impuissant face au néant qui guette les humains.
Les hommes ont choisi l’enfer.
Ces pervers d’ailleurs et d’ici ne réfutent pas «l’idée de Dieu», pire, ils blasphèment et s’émancipent du poids de l’Eglise et des cultes.
Ils jouissent du péché.
«Qu’aura-t-elle appris dans son couvent, à part le jeûne et un peu de masturbation pieuse avec le crucifix.»
«Le temps est la faille de la création, toute l’humanité y a sa place. L’Eglise a comblé cette faille avec Dieu, à l’intention de la plèbe, nous, nous savons qu’elle est noire et sans fond. Quand la plèbe s’en avisera, elle nous jettera dedans.»
L’Afrique est aujourd’hui, un carrefour de civilisations. Comme partout dans le monde, les influences extérieures provoquées par les flux migratoires fécondent des cultures et modes de vie hybrides qui brisent les carcans traditionnels, cultuels et religieux.
Aujourd’hui, la loi est athée, Dieu est présent, mais moins radical. Et le réseau de contraintes et de spiritualité bousculé. Sodome et Gomorrhe réapparaissent, resplendissants, pour narguer la loi.
Le salon d’avant la révolution et le Bunker indiquent un tournant de l’histoire et des pensées.
En Europe, la pensée a connue une révolution intellectuelle progressive, la question du lien au divin et de la liberté a ensuite gagné la société et provoqué une mutation.
Hier, la monarchie africaine reposait sur une légitimité divine. Les us ne permettaient pas une «liaison» que le code social interdisait. Le charnel, l’esprit, l’expérience, la sexualité et le rayonnement érotique n’étaient ni souhaités ni même seulement admis.
Aujourd’hui, la colonisation et la transmission de la pensée par les médias et les rencontres interculturelles créent une confrontation et accouchent d’un bâtard social qui, en perte de repères, porte et revendique une culture hybride et vit par mimétisme.
L’émotion seule traverse les êtres et les frontières. Inspectons donc à souhait les alcôves des princes d’autrefois et d’aujourd’hui et projetons-les sur les libertins occidentaux d’hier et les émancipés noirs d’aujourd’hui.
Seul doit être pris en compte, l’humain d’où qu’il vienne, avec sa perversité, ses désirs, ses mutations mais aussi son environnement et ses croyances.
Ailleurs, le «bunker» ou le «salon», ici, le «palais» ou les «grands hôtels», les «résidences secondaires» ou «deuxièmes bureaux».
Les grands de ce monde s’amusent aux jeux de la perversion pendant que, dehors, la plèbe se tue au travail ou par les armes. Ces «grands», noblesse pour les protagonistes de Quartett, pouvoirs politiques et financiers pour leurs équivalents africains, ont une position sociale confortable.
Ces nobles et notables s’ennuient… Il ne leur reste plus que la destruction comme passetemps.
Ce rapport pervers nous renvoie aussi à l’exploitation des masses.
Ces gens de «la haute» n’ont rien d’autre à faire que de se pervertir et pervertir le monde.
«Que la plèbe se saute entre deux portes, soit, son temps est précieux, il nous coûte de l’argent, notre métier sublime, à nous est de tuer le temps.»
La pieuse Madame La Tourvel que Valmont tente de dévergonder n’est elle pas cette vertueuse mère africaine éduquée au respect du couple ?
Volanges, la vierge effarouchée qui doit faire le choix entre la sainteté et le plaisir charnel, c’est aussi la jeune enfant, proie innocente de nos capitales.
Mertheuil et Valmont les chefs d’orchestre de ce jeu malsain ne cachent-ils pas un ministre, un député ou un riche commerçant de nos tropiques ?
Toutes ces figures se retrouvent partout dans le monde, à toutes les époques de l’histoire des hommes.
Sur les bords de la Seine ou les trottoirs d’Abidjan, les parcs fleuris de Johannesburg, ou le désert burkinabè, revoilà le libertin plus aigu et corrosif que jamais, transformé à la mesure des rencontres de civilisations. Lucide et cynique sur le chaos ambiant, sur l’inutilité de l’être et sur l’immuable autodestruction.
L’acte sexuel, ici perçu comme acte de mort, recherche du néant, peut être comparé au plaisir de déclencher une guerre ou asservir un peuple. Grâce à la «culture» de l’ignorance, les «grands» peuvent gouverner les «petits».


Tout ceci n’est qu’un jeu de mort :


«L’AMOUR EST AUSSI FORT QUE LA MORT»

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