J’ai déjà pénétré dans des appartements, des studios, qui transpiraient littéralement la solitude. On est pris à la gorge, l’air semble saturé de pensées, de projets sans suite, d’impossibles rêves, qui restent là, en suspension, comme un brouillard persistant. Je pense alors aux anti-héros des romans d’Emmanuel Bove, ces hommes seuls vivant dans des meublés, des petits hôtels, des mansardes. Ils se terrent là, comme des bêtes dans leurs tanières, ou ils arpentent la ville, pour se donner l’impression qu’ils ont encore une fonction quelconque, qu’ils font partie de la communauté des hommes.

Ce début de XXIe siècle veut que Bove soit une de nos plumes les plus clairvoyantes. Oui, je les croise de plus en plus fréquemment, ces demi fantômes, au hasard d’un coin de rue, ou dormant le front blotti dans leur bras replié, au bout d’un comptoir de bar. C’est la peur que je lis dans leur regard. Peur de rester là, en berne, étranger au monde qui va s’accélérant, peur d’être à jamais isolé, abandonné.

Avec la complicité de Juan Cocho, auteur, je tente de composer un spectacle qui rendrait compte de ces sensations. Mais comment embrasser une réalité si complexe, comment décrire le calme si tendu de ces habitations, les présences sourdes dont les murs sont imprégnés, le son étrange que prend la voix humaine dans le vide des pièces ?Comment peindre certains paysages intérieurs, quand la pensée bégaye, tournoie, empêche le corps de trouver le repos ?

Juan Cocho n’a pas écrit un texte, mais des chatoiements de texte, des fragments, qui seront comme des ponctuations musicales. J’ai très vite eu envie d’une « contre-présence », et j’ai demandé à la danseuse Hanna Hedman de nous rejoindre. Elle est une présence/absence, une pensée en continuel mouvement, une ritournelle intérieure. Elle accompagne le comédien Alexandre Soulié, et sa présence me permet de tisser un contre-chant.

Jean-Yves Ruf