Outre une histoire de rencontre, ce projet fait suite au travail partagé sur la pièce Le Grand Nain en tournée depuis mars 2007. Dans Mister Monster, les acteurs seront six sur scène, 4 hommes et 2 femmes, représentants possibles des convergences Cirque-Théâtre-Danse, chacun venant apporter l'originalité de sa propre démarche d'auteur. Dans ce travail qui invente sa propre forme, les propositions de scénographie, de lumière, de son et de dramaturgie intimement complices, participent à la construction d’une « fable théâtrale », physique et fantastique, où l'expérience du langage sera, je l'espère, riche et foisonnante.

Si Robinson Crusoé, qui avait servi de ferment pour Le Grand Nain, peut être considéré comme le premier roman moderne (condition d'écrivain de Defoe, identification entre héros et lecteur etc...) l'histoire de Valentin et Orson, qui servira cette fois de cadre narratif originaire, nous emmène plus loin encore dans l'imaginaire et le fantastique. «Roman de colportage », il s'agit en effet d'une des premières histoires publiées en ancien français par des imprimeurs à partir de 1600, redonnant vie à un large et très ancien fonds de littérature orale et populaire.

Valentin et Orson sont deux jumeaux de haute origine qui vont être séparés lorsqu'une ourse enlève l'un d'eux pendant que leur mère traverse une profonde forêt. L'un sera élevé dans la bonne société chevaleresque pendant que l'autre, allaité par une ourse, deviendra un solitaire d'une force prodigieuse qui terrorise la forêt et en fait son territoire. Valentin finit par poursuivre et attraper Orson, qui, après avoir connu une rapide domestication, fera des prodiges qui le promettent au trône. Contre toute attente, Orson rejettera ces honneurs et s'enfuira au plus profond de la forêt.

Au sein de cette très longue épopée de 74 chapitres dont je ne retiens pas le long chapelet des guerres, des exploits et des illuminations religieuses, j’ai extrait un sujet principal : le questionnement de l’homme face au mystère de la forêt, face à son propre monstre, que je veux mettre en scène sous la forme de tableaux.

Expression des identités et des relations, c'est à travers l'acrobatie, la manipulation des corps et des objets et l'utilisation du décor comme un agrès qu'est conféré un aspect irréel, surhumain, fantastique.
L'écriture du spectacle s'élabore dans un aller-retour entre une dramaturgie préalable et sa confrontation au plateau. Une écriture minutieuse, précise des corps et des mots car composée avec l'intime, avec la nature même des artistes circassiens, danseurs et acteurs afin de créer des figures nouvelles qui ont chacune une valeur intrinsèque. Toute la force de l'histoire de Valentin et Orson est de montrer les ambiguïtés de notre époque contemporaine à travers la mise en tension d'une vision mystique de la forêt, de la fascination pour les bêtes sauvages et de l'analyse toute rationaliste de l'enfant sauvage qui renvoie, elle, à la construction de l'humanisme des Lumières.

Ce conte permet également de poser une question essentielle sur le lien qui continue à unir secrètement dans notre imaginaire les grands hommes de pouvoir et les forces sauvages, au revers des légitimités démocratiques, technocratiques et méritocratiques, et sur cette dualité qui nous dépasse…

Philippe Eustachon