Luce et La Varienne, sa mère, sont les demeurées, des abruties, dit-on dans le village. Demeurées, elles le sont, parce que restées en deçà de la parole, leur relation fusionnelle et indestructible se passe des mots. Demeurées, parce que hors de leur petite maison, îlot d'intimité au confort miséreux, le monde est dangereux.
Leur vie n'est faite que de petits rituels quotidiens qui se répètent dans le silence.
Alors quand Luce, en âge d'être scolarisée, fait ses premiers pas à l'école, c'est une séparation qui déchire la mère et la fille. La Varienne découvre l'absence et elle ne sait pas attendre. La petite pressent que les mots appris à l'école, le savoir, vont briser l'amour partagé avec sa mère.
Elle fait « mur », son regard enfoncé dans les imperfections du mur de la salle de classe.
Mademoiselle Solange, l'institutrice passionnée et pénétrée de son métier, porte toute son attention à cette enfant qui se ferme. Elle essaie de l'extraire de son mutisme par tous les moyens qu'elle imagine. Elle commence par le nom, le nom du père, cet inconnu qui a fui. Elle l'écrit sur le tableau noir. Luce ne supporte pas, elle tombe malade. Elle a la fièvre, elle va mourir, dit-on.
Terminée l'école, retour définitif auprès de sa mère qui insuffle une deuxième fois la vie à sa fille.
De son côté, Mademoiselle Solange doute de son engagement, du sens de son existence, elle dépérit.
Jusqu'au jour où elle reçoit un carré de batiste blanc sur lequel est brodé son nom, un cadeau de l'enfant. Ce même jour elle meurt dans un accident stupide de la circulation.
La petite ne retournera pas à l'école, mais au cimetière tous les jours, elle viendra dire sur la tombe de Mademoiselle Solange les mots nouveaux qu'elle aura appris.
Les mots sont entrés en elle. Ils tracent de multiples chemins qui sont autant d'ouvertures au monde. Tout est en train de basculer.
La petite vit, et les mots en elle.