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Electre

+ d'infos sur l'adaptation de Cyril Cotinaut ,
mise en scène Cyril Cotinaut

: Présentation

Ce qui détermine le genre théâtral d’une oeuvre se situe en général à la fin de celle-ci.
Ce qui détermine le genre tragique réside principalement dans la fi n donnée à l’histoire. Généralement, la mort.
C’est la fin qui détermine le genre. La fin. Et parfois uniquement la fin.
Ainsi, une histoire peut sembler joyeuse et s’achever tragiquement et inversement.
Pourquoi, s’agissant d’une tragédie, le spectacle devrait-il être austère, triste, fataliste ? Pourquoi les acteurs devraient-ils emprunter cette figure douloureuse mais digne de celui qui souffre et continue cependant à braver la tempête, pourquoi l’action elle-même devrait-elle porter les stigmates de la lourdeur, de l’oppression, du néant à venir ?
Je pense qu’il faut nettoyer la tragédie des clichés qui l’alourdissent, des postulats qui la plombent et l’alléger, comme la vie elle-même qui peut être douce et légère malgré la mort qui attend tout être vivant.
Je pense qu’on peut rire de la tragédie, du moment que le rire laisse la place, à la toute fin, à l’effroi. Pour Electre, à l’effroi issu de la réalité d’une fille et d’un fils qui assassinent sauvagement leur mère.


2500 ans nous séparent de nos ancêtres grecs.
Deux millénaires et demi qui semblent une seconde tant les thèmes fondateurs des tragédies antiques résonnent aujourd’hui à nos oreilles. Perte de foi, quête de justice, avènement de soi, ruptures familiales... Les auteurs grecs ont su inscrire leurs récits dans une universalité sidérante, visionnaires sans limite temporelle. Le Berceau de notre civilisation a encore beaucoup à nous apprendre tant les thèmes philosophiques qui composent les tragédies antiques soulèvent des questions, apportent des réponses qui, au-delà des contingences d’espace et de temps, concernent tout être humain, d’hier, d’aujourd’hui comme de demain.
Le temps seul saura nous dire si les thèmes abordés dans le théâtre contemporain ont ou non une valeur universelle susceptible de concerner nos descendants.
D’une certaine manière, j’aime aborder les textes anciens car leur survivance ne laisse aucun doute quant au caractère atemporel du propos. Les formes supposées et attribuées à la tragédie grecque (trois acteurs masqués, cothurnes...) ne m’intéressent guère car les formes, comme les modes, sont soumises à la loi du temps. Seul le fond importe dans notre travail et, sans tomber dans la «contemporanéisation» à tout prix, le travail que nous menons sur la tragédie grecque vise à révéler le fond philosophique par le souci d’une forme populaire et accessible aux hommes de notre temps.


Dans le cadre d’un vaste laboratoire mené pendant l’été 2009 avec une douzaine d’acteurs sur le thème des fi gures mythologiques grecques féminines, les fi gures d’Antigone et d’Electre à travers les textes de Sophocle, Anouilh et O’Neil ont été soumises à un travail de recherche, de comparaison, d’élaboration.
Des quatre premiers textes abordés au cours de cet atelier, Electre s’est imposée comme celle qui suscitait le plus de controverses, le plus de questions, le plus de diffi cultés quant aux thèmes abordés.


Les présences féminines contradictoires (fille/soeur/mère/choeur) donnent matière à des dialogues riches où, pour une fois, et ceci du fait de la quasi-absence de protagonistes masculins, ce n’est pas la question du rapport de la femme par rapport à l’homme (comme ce peut être le cas dans Antigone) qui est abordée, mais de la femme en tant qu’être humain, évitant dès lors la question de la féminité en tant que raison d’être.
Electre n’est pas Electre parce qu’elle est une fi lle, mais parce qu’elle est un être humain devant affronter une situation à laquelle un homme pourrait être tout à fait confronté.
Bien sûr, on trouve également dans le mythe d’Electre les thèmes classiques (et psychanalytiques!) du refus de la mort du père, de la haine de sa mère, du transfert sur le frère...
De façon plus sociale, les thèmes de la vengeance, de la justice personnelle du Tallion, de l’insoumission parcourent la pièce. Mais...


Mais c’est la déclaration publique d’athéisme qui nous intéresse davantage dans la fi gure d’Electre et qui distingue la version de Sophocle.


Des années d’attente vaine, avec le spectacle quotidien de meurtriers qui se pavanent, la mort d’un père qui tarde à être vengé: voici les circonstances qui poussent Electre à abandonner toute croyance au Destin, à une force surnaturelle, à des Dieux qui n’agissent pas dans le temps humain.
Je suis toujours frappé par les gens qui ont la Foi. Je les envie. Ils trouvent des réponses à leurs questions dans une présence invisible, immatérielle, intangible. J’aimerais parfois ne pas être un homme de mon temps et ressentir ce que je crois être un soulagement de croire que quelque chose d’extérieur à moi existe et guide ma vie.
La seule image de Dieu que je puisse avoir est la suivante: un homme dans une barque au milieu d’un océan en tempête. Des vagues de vingt mètres de haut peuvent à tout moment précipiter dans les abysses la frêle embarcation. L’homme ne peut alors faire qu’une seule chose: s’accrocher à la barque et se dire: «Je ne peux rien faire. Ce n’est pas moi qui décide...».
Cette idée que la mort puisse arriver sans que je la décide me laisse à penser que je ne maîtrise pas tous les paramètres de ma vie. Il existe des choses qui m’échappent, qui sont «au-delà de moi». Appelons ça hasard, coïncidence, destin ou dieu, peu importe, je parle bien d’une force totalement extérieure à moi-même à laquelle je n’ai pas d’autre choix que me soumettre. Cette pensée, souvent, me rassure. Tout ne se joue pas sur mes uniques compétences; tout ne repose pas sur mon unique volonté.


Electre, d’une certaine façon, est dans cette barque. Elle s’accroche et attend. Qu’un homme, qu’un Dieu, qu’un frère agisse.
Qu’un homme puisse défaillir est tout-à-fait concevable.
Qu’un Dieu puisse laisser s’accomplir une injustice sans lui-même agir contre celle-ci tue la foi en ce Dieu.
En d’autres termes, les Dieux doivent agir pour continuer à exister, sans quoi les hommes ne croiront plus en eux et les Dieux disparaitront. C’est la fi n de la foi et le début de l’athéisme.
Electre, parce qu’elle ne sait plus lire les signes favorables, parce qu’elle décide de renoncer au futur pour s’inscrire dans le présent, parce qu’elle attend une réponse qui, pour elle, n’arrive pas, décide d’agir par elle-même, de faire ce que les Dieux semblent incapables de faire.
Mais il est vain de croire que l’homme dans la tempête peut sortir ses rames et se sortir seul du chaos.
Acte d’insoumission certes, mais aussi acte d’athéisme, négation de toute croyance et affi rmation du remplacement des actes divins par les actes humains, Electre entre en résonance avec notre époque et nos contemporains par son absence de foi, par la croyance en soi plutôt qu’en l’autre.

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