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Couverture de Vèpres de la Vierge Bienheureuse

Vèpres de la Vierge Bienheureuse

de Antonio Tarantino

Texte original : Vespro della Beata Vergine traduit par Jean-Paul Manganaro


Mais moi, hop ! avec mes deux associés : courir pédaler.
Les autres, tous les autres : baisés, pa’.
Juste comme t’as dit, exactement.
Quelques-uns à peine, trois, quatre au maximum
l’étaient restés avec ‘ne chaussure, n’un seul pied chaussé,
la détonation le déclic le bond le coup le plongeon
— je peux pas penser à un virus ou à un feu de signalisation —
les ont à demi épargnés,
descendus en flamme comme on dit en jargon,
avec le parachute ou le parapente
ni bien ouvert ni tout à fait fermé.
Mais y se sauveront pas, y souffrent seulement davantage.
Et les autres, les Déchaussés, crient déjà de douleur,
hurlent se cramponnent jurent implorent, dieu maman !
sur les cailloux chauffés à blanc par un soleil grec,
ennemi des ténèbres qu’ils sont désormais devenus,
père de l’ombre, Phébus.
Avec ceux à moitié qui sautillent sur l’unique chaussure
sur l’unique pied chaussé, et sautillent derrière nous :
« eh, les copains, un moment… » tandis qu’ils jettent loin leur lest,
sac à dos radios montres et boussoles
blousons écrits et signés, toutes les conneries
qu’y aurait de quoi rire si les Restes n’harcelaient pas
avec leurs couteaux dans la poche : « eh, mon coco !
viens, que je t’montre la charité l’humanité et l’âme,
viens mon p’tit con viens ! »
avec les autres à moitié qui frétillent comme poissons en poêle
et les autres à l’arrière qui hurlent : oh oh !,
de plus en plus distants.

Et y aurait de quoi pleurer s’il fallait pas faire gaffe à ses affaires,
se tenir en équilibre sur les cothurnes, exact
exactement comme t’as dit toi, pa’ :
verres serpents bidons tranchants abandonnés comme sur une lune
une lune tombée là par hasard, étalée par terre,
étrangère à tout désormais, aux orbites aux ellipses,
une lune là qui sait depuis quel temps,
noire, brûlée elle aussi par le soleil grec,
chassée hors du mythe et de la métaphore,
avec les Restes qui vous laissent aucune trêve et les Déchaussés
qui harcèlent la nouvelle troupe de leurs moignons,
les plus jeunes marchant sur leurs malléoles,
sur les genoux les plus vieux
et les anciens qui courent désormais plus que sur leurs mains,
légers d’un corps qui n’est plus que moitié,
et braillent et braillent : « eh, les jeunots !
venez, on va, nous, vous nettoyer vos vitres »,
et les anciens parmi les anciens bondissant sur leurs coudes,
et hurlements dégoûtants jurons horribles insultes,
exactement, pa’, juste c’que tu m’as dit toi l’au téléphone,
et les montres ! goinfres de montres, bien que sans un temps,
seulement pour entendre le bip bip
(que du tic-tac de l’âme mécanique pas question d’en parler)
aveugles, sans lunettes, qui hurlent et crient.


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