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Couverture de Roberto Zucco

Roberto Zucco

de Bernard-Marie Koltès


Roberto Zucco : Le meurtre de la mère (commentaire)

Bernard-Marie Koltès, Roberto Zucco, 1990.


Roberto Zucco est un jeune homme de 24 ans qui vient de s'évader de prison où il purgeait sa peine pour le meurtre de son père. Dès le début de la pièce, il est présenté par ses gardiens comme « une bête furieuse, une bête sauvage ». Un bras de fer s'engage avec sa mère qu'il retrouve chez elle.


Commentaire littéraire. Tableau 2 - Le meurtre de la mère


Commentaire personnel proposé par Bernard Mirgain (professeur)



Introduction



Koltes met en scène dans sa pièce un jeune homme de vingt-quatre ans, d'une extrême nervosité, qui frappe à la porte du domicile parental. Sa mère refuse de le laisser entrer. Elle se doute bien qu'il ne vient pas pour lui beurrer ses tartines. Le ton monte, l'air vibre d'énervement. C'est l'escalade. L'intrus, se comportant comme un tyran domestique, finira par assassiner sa propre mère. Une histoire de voyou des banlieues, de meurtrier en cavale, inspirée de faits réels.


D'emblée, nous sommes frappés par l'insignifiance de ce personnage impulsif, au vocabulaire appauvri, réclamant avec une insistance presque obsessionnelle son treillis oublié dans un bac à linge. Mais aussi par la brutalité sans concession de cette jeune crapule.


Dans un premier temps, nous nous attarderons sur les portraits de ces deux personnages : un marginal désaxé, sans pitié, un sociopathe ou schizophrène, sous la férule d'une mère complètement dépassée par les événements. Dans un deuxième temps nous nous intéresserons au caractère tragique de cet affrontement mère-fils. Koltes nous invite à une méditation sur le crime et la folie. Mais surtout à une prise de conscience de l'effroyable misère des quartiers pauvres. Cette misère qui accouche d'un ange terrible de la mort, tuant toutes les personnes qui lui barrent le chemin...



I. Deux personnages dans l'excès, l'odyssée d'un désastre...



A. Le portrait de Roberto, imprévisible, inflexible : un tueur n'a jamais l'air d'un tueur ?



Qui est Roberto Zucco ? Un personnage obtus ? Un esclave de ses propres instincts, du genre à écluser des bières aux abords des bennes à ordures au bas de l'immeuble. Un jeune « à la dérive » dirait-on par euphémisme dans nos gazettes ? Une chose est certaine, il n'a plus rien à perdre, même pas sa dignité...
La brutalité de son irruption dans l'appartement de sa mère en dit long sur l'énergumène (« Ouvre donc; tu ferais perdre patience à une limace. Ouvre, ou je démolis la baraque »). Le public est dans le bain : celui d'une violence préméditée qui fait mal au ventre. Zucco propage la peur, en toute conscience de ses actes. Ce qui caractérise l'individu turbulent, c'est sa colère constante, sa rudesse, sa rusticité....
On sait dès le début que l'orage menace, les didascalies parlent d'elles-mêmes. (« Zucco cogne contre la porte », puis « Zucco défonce la porte »). Les liens créés entre les deux protagonistes se resserrent et se tendent. La panique s'installe (« La mère - Roberto, j'ai la main sur le téléphone, je décroche et j'appelle la police... »). On est loin de l'image glamour de la mère en robe de vichy glissant les pantalons fraîchement repassés dans la valise de son petit garçon avant son départ en colonie de vacances.
Toute la scène est construite autour d'un vêtement à récupérer : le treillis. Le treillis de camouflage ne relève pas que du cliché ou du stéréotype. C'est une tenue militaire de combat qui signale aux résidents que le délinquant a pris du galon auprès de ses comparses. Ce vêtement de terrain en tissu kaki est là pour faire remarquer que la vie dans les cités est une jungle. Il fait partie du décor urbain gangréné par la violence généralisée. Inutile de forcer le réalisme de la situation. On imagine Roberto en jogging avec une calotte enfoncée jusqu'aux yeux comme les chefs de bande de nos zones urbaines sensibles. Et puis, on sait que l'écriture de la pièce fut déclenchée par l'histoire vraie de Roberto Succo*, un serial killer italien des années 1980. Le treillis, c'est le grain de sable qui aboutit à l'irréparable, à la catastrophe. Un minuscule déraillement, un sursaut de folie amenant à une vendetta familiale.
Les coups de poing de ce caïd mitraillant la porte d'appartement sont les prodromes du meurtre, du matricide. Des coups qui rappellent, peut-être, le gourdin paternel ? Dans la même logique symbolique, récupérer ses effets personnels au domicile de sa mère, n'est-ce pas se détacher des attaches familiales ? Ce qui expliquerait la valse-hésitation des dérobades maternelles (« tu ne peux pas le porter comme cela. Laisse-moi le temps de le laver, de le faire sécher, de le repasser »). Dans cette scène d'affrontement, Koltes entrecroise la parole crue de Roberto et les doutes d'une mère décatie...
Le fils ne vient pas demander de l'aide ou de l'argent (« La mère. - Je te donne de l'argent. C'est de l'argent que tu veux. Tu t'achèteras tous les habits que tu veux. Zucco - Je ne veux pas d'argent. C'est mon treillis que je veux »). Vient-il chercher de l'affection ? Ce milieu happé par la mort ne peut pas être sauvé par l'amour qui, de toute façon, n'existe pas. Dans le théâtre de Koltès, l'amour ne remplit jamais la condition d'être éprouvé : ce sentiment ne fait pas partie du tour de table. Bien sûr, Zucco, un séducteur de pacotille, maraude dans les laveries libre service de quartier, embobinant les filles. (« J'irai à la laverie automatique ... C'est l'endroit du monde que je préfère. C'est calme, c'est tranquille, et il y a des femmes »). Présenter un « lavomatic » comme une alternative à une chambre d'amoureux relève de l'ironie... Ce lieu encombré de linge sale est presque allégorique : il sert d'écrin aux déboires affectifs, ou d'exutoire à la misère sexuelle des loubards de banlieue. Le linge sale, c'est la métaphore de la souillure du monde. Il n'y a plus de sentiments chez ces bêtes humaines, semble dire l'auteur. Alors, forcément, le spectateur se laisse entraîner dans cette ronde infernale, dans cette sarabande poisseuse de destins pathétiques.



B. La misère des sentiments, la solitude affective, symptômes du dérèglement social ?



Le dispositif scénique repose sur un plan-séquence d'un drame familial. Un épisode qui va réunir par la force des événements deux personnes que tout oppose, que tout sépare. A commencer par le parricide. Un acte criminel que la mère de Zucco relate d'une manière un peu pataude : « tu as tué ton père... tu l'as jeté par la fenêtre, comme on jette une cigarette ».
La défenestration n'indique sans doute pas un mode opératoire de l'homicide volontaire, mais appelle l'image du mégot que l'on jette négligemment. Le choc émotif tient dans un petit paquet de mots. Des mots qui font mouche. Ce qui est remarquable dans cette scène de conflit, c'est l'absence de communication. Un dialogue de sourds. Personne ne s'intéresse à personne, les deux protagonistes vivent dans une solitude extrême... La mère est sur la défensive, mais ce jeu de faux-semblants ne dure pas longtemps (« Ne crie pas, Roberto, ne crie pas, tu me fais peur; ne crie pas, tu vas réveiller les voisins »). Elle ne reconnaît plus son fils, ou plutôt, elle s'interroge vainement : « Est-ce moi, Roberto, est-ce moi qui t'ai accouché ? Est-ce de moi que tu es sorti ? Si je n'avais pas accouché de toi ici, si je ne t'avais pas vu sortir ... je croirais que ce n'est pas mon fils que j'ai devant moi ». La réalité finit par s'imposer dans cette déploration pathétique : « Pourtant, je te reconnais, Roberto. Je reconnais la forme de ton corps, ta taille, la couleur de tes cheveux, la couleur de tes yeux, la forme de tes mains, ces grandes mains fortes qui n'ont jamais servi qu'à caresser le cou de ta mère, qu'à serrer celui de ton père, que tu as tué ». L'antithèse entre les verbes « caresser » et « serrer » (le cou) est saisissante. Les reprises de mots produisent leur effet pathétique (« la couleur de tes cheveux, de tes yeux » - « la forme de tes mains, ces grandes mains fortes »).
L'accumulation, l'inexorable énumération des termes rythment ce lamento aux accents plaintifs. Cette lamentation outrée regorge de récriminations avant le prononcé de la sentence : « On l'abandonne, on l'oublie. Je t'oublie, Roberto, je t'ai oublié ». Dans cet environnement familial peu sécurisant, l'avenir ne peut pas s'ouvrir de manière viable. Aucune possibilité de réconciliation avec le monde. Pour l'avenir, il faudra passer son tour...
Koltes joue avec les codes de la tragédie : tout est destin, tout est fixé à l'avance. A ces gémissements plaintifs, à ces mots malséants, Zucco oppose une froideur marmoréenne : « Avant de m'oublier, dis-moi où est mon treillis ». La vie de cette mère tourne au désastre, hanté par les fantômes d'un passé non soldé. Elle finit là, dans la détestation. Le drame est pathétique à cause de la vulnérabilité de la victime. Une dernière didascalie précise les modalités de la mise en scène au cordeau de l'étranglement (« Il s'approche, la caresse, l'embrasse, la serre; elle gémit. Il la lâche et elle tombe, étranglée »). Voilà...Tout est dit, avec une noirceur sans faille. Tout comme Meursault dans « L'Etranger » de Camus, Roberto vient de frapper « sur la porte du malheur ». Se répétant à lui-même, peut-être, les mêmes paroles de Meursault, avec une amertume terrible : « Mais tout le monde sait que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue ». Fin du tableau. Le spectateur n'aura pas eu le temps de verser une larme, même furtive...



II. La haine, seule contrainte dramatique qui génère une violence à la fois physique et verbale.



A. Nous créons ce qui nous tue...



Toute l'intrigue ne repose que sur des dialogues qui s'enchaînent et qui démontent les ressorts successifs. Au détour des invectives, aucune embardée, aucune digression rehaussée d'humour, même dissimulé, ne sont prévisibles. Nous assistons du début à la fin de l'extrait à une impressionnante montée en tension liée à la méfiance croissante de la mère. A cause aussi de l'humeur irascible de Zucco. Une colère qui ne montre aucun signe d'érosion (« Si je donne un coup dans la porte, elle tombe, tu le sais bien, ne fais pas l'idiote » ... Bouge-toi, dépêche-toi, ramène-le moi de suite »). Le public pressent que la pièce va basculer dans la noirceur, celle de la délinquance criminelle : l'enfer hédoniste des voyous boutonneux qui tabassent, caillassent, « cassent du flic », violent, trafiquent, et jouissent de la rapine...
Koltes met en scène, comme dans sa pièce précédente (« Dans la solitude des champs de coton »), la frénésie de la violence interminable. Le spectateur est à la fois voyeur, témoin, juge ou avocat de ce chaos social. Il s'imagine la meute des dealers, ces vendeurs de mort. Et puis, il y a la mère, geignarde, aux allures de sauvagesse, qui sait, de poissarde hystérique. Ce qui pourrait nous faire penser à la mère Thénardier. A propos de cette gargotière de Montfermeil, Victor Hugo écrivait : « Elle était mère parce qu'elle était mammifère ».
La mère de Roberto, harassée d'indignation, s'exprime avec une vulgarité faubourienne, avec une gouaille de caserne : « Cette saloperie d'habit militaire. Qu'est-ce que tu as besoin de cette saloperie d'habit militaire ? Tu es fou, Roberto ... Eh bien, fais-le donc, malade, cinglé, fais-le et tu réveilleras les voisins ... Même les chiens, dans ce quartier, te regarderont de travers ! »). Son vocabulaire est ordurier : « Je m'en fous », « tu es complètement dingue », « Tu ne comptes pas davantage, pour moi, qu'une mouche à merde ». Une grossièreté qui vous crache dessus. La haine se fraie un chemin à travers la misère sociale et culturelle, à travers l'impossibilité des sentiments : chaque mot échangé repose sur des bribes d'histoires qui écorchent : « On aurait dû comprendre cela quand tu étais au berceau et te foutre à la poubelle ».
Pour le dramaturge, il s'agit de mettre des mots sur la force des émotions. Dans cette longue réplique de la mère, qui suscite à la fois fascination et effroi, tout semble couler d'évidence et notamment la tactique de la terre brûlée. Et puis surtout, sa voix, dans sa brutalité nue, est celle des petites gens. C'est le peuple pas très fort en grammaire qui parle. Dans le degré le plus bas de la pauvreté humaine, chacun se révèle à nu, avec des mots simples, rugueux et sans nuances. Avec des termes crus, bourrus, qui disent bruyamment les choses à vif. Avec mauvais goût. A la fin de l'altercation, Koltès finit par donner voix au silence mutique, aux non-dits, qui révèlent tout autant que les mots, l'âpreté des échanges humains. Le silence écrasant va entourer l'énigme absolue du passage à l'acte. Tout ce qu'il y a dans le cœur va circuler dans le corps, dans ses élans de colère, dans ses emportements haineux. Une chose est sûre, la violence inouïe de ces terribles paroles va faire s'effondrer toutes les barrières. L'édifice de la figure maternelle se fend. Sous le feu roulant de ces injures peu flatteuses pour l'oreille, Zucco, dépossédé de tout, n'a décidément plus rien à perdre. Ou plutôt, il va perdre juste ce qu'il n'avait pas, l'amour d'une mère... C'est sans doute ce que son opposition muette - et l'on se rend bien compte que ce n'est pas celle d'un gamin rougissant - veut exprimer. La relation entre la mère excédée par son ressentiment et ce fils au caractère retors est totalement pervertie. On se dit que tout commence par là, l'absence d'amour. Que réparer, c'est renaître... Peut-on tendre la main à son tueur ? L'aveuglement narcissique de Zucco conduit à une tuerie suicidaire : la seule façon de s'évader du monde, c'est la mort. L'enfant dénaturé, dans l'ombre de son double pervers, va devenir un « routard du crime », un tueur en série. C'est décidément un personnage absolu.
Le meurtre est la seule réponse à cette envie irrépressible que tout change, que la vie recommence. C'est une levée d'écrou. Le destin bascule. Mais pourquoi ?



B. Une violence sans culpabilité : une histoire d'engrenage implacable, où le dénouement semble perpétuellement différé...



Tout se joue sur le fil du rasoir de la bestialité, de la férocité. On a l'impression que tout est écrit à l'avance, si bien qu'on sait déjà ce que chacun va dire. Un petit jeu de rôle attendu, qui nous tient jusqu'à la fin de la scène : Zucco porte l'estocade avec le baiser de la mort... Toutes les règles de la grande tragédie classique seraient bafouées ? Peut-être pas... Aristote prétendait que l'auteur d'un crime devait inspirer aux spectateurs de la répulsion. C'est bien le cas ici. Il faut bien se le dire, Koltes ne respecte pas davantage la règle de la bienséance que ne le faisait Racine dans « Britannicus », pour ne citer que cet exemple.
Poussons la comparaison... Dans ces deux pièces éminemment tragiques, on y retrouve la même soif inextinguible et animale de violence gratuite. Racine met cet alexandrin dans la bouche de Néron : « J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer ». De la même façon, dans « Roberto Zucco », violence et douceur font apparemment bon ménage, qu'on en juge au ton sirupeux du fils presque repenti : « N'aies pas peur de moi, maman. J'ai toujours été doux et gentil avec toi. Pourquoi aurais-tu peur de moi? Pourquoi est-ce que tu ne me donnerais pas mon treillis ? J'en ai besoin, maman, j'en ai besoin ». Il clamerait presque son innocence. Le discours de la mère s'apparente à un monologue languide. Un repli sur soi ? La volonté de demeurer lucide ? Koltes, fidèle à ses habitudes, affûte un regard bien à lui sur son personnage. Son théâtre fait parler les personnages de là où ils sont, en gros plan. Ce qui vaut pour la mère de Zucco. Les métaphores presque banales du « tronc d'arbre » et du « train qui déraille » suggèrent l'image du délinquant rétif qui s'éloigne du droit chemin, qui s'écarte du raisonnable pour sombrer dans la folie meurtrière (« Comment as-tu quitté les rails, Roberto ? Qui a posé un tronc d'arbre sur ce chemin si droit pour te faire tomber dans l'abîme ? Roberto, Roberto, une voiture qui s'est écrasée au fond d'un ravin, on ne la répare pas. Un train qui a déraillé, on n'essaie pas de le remettre sur ses rails »). Le « déraillement » entraîne la catastrophe : il ne réserve aucun retournement de la situation. Il exclut tout espoir, tout avenir. Il n'y aura pas de dernière chance. Cette métaphore de l'accident sur une voie ferrée met l'accent sur le caractère inéluctable de la récidive. Aux yeux de sa mère, Roberto Zucco, c'est le monstre de Frankenstein. Le dénouement de l'affaire, comme dans la tragédie antique, est annoncé dès le départ. Procès de la glandouille adolescente dans un monde peuplé de cinglés notoires ou de créatures effrayantes, cette pièce ne peut que nous déranger. Un art du brouillage au bénéfice du suspense procure au spectateur une émotion rare. Le plus important pour Koltes, c'est de placer le spectateur nez à nez avec une coupure du quotidien, en privilégiant le plan rapproché sous une lumière zénithale. On pense bien sûr au film « Los Olvidados » (littéralement, « les oubliés », réalisé en 1950) de Luis Bunuel qui décrivait l'envers du décor de la prospérité bourgeoise à Mexico. Avec des gosses croupissant dans les bidonvilles, victimes d'une éducation défaillante et du manque total d'amour maternel.
Avec la même force poétique, Koltes nous fait éprouver presque physiquement la froideur de cet environnement social. La fin de la scène, excessivement morbide, voit Zucco enfiler son treillis avec une indifférence animale qui fait penser à un chien lapant le sang d'une bête morte (la didascalie finale indique des gestes économes : « Zucco se déshabille, enfile son treillis et sort »). Le dramaturge lui laisse le temps, en slip et en chaussettes, de se repaître, sa mère gisant à même le sol, de ce crime de sang. Zucco ne chancelle pas. Pour les cannibales de la banlieue, il n'y a pas d'autre issue que de se manger les uns les autres. Le spectateur se résigne alors à ne plus chercher une quelconque signification dans ce qui arrive, en dehors d'une défaite de la bonté et de la victoire inintelligible de la déraison. Pas la peine de chercher un interlocuteur sensé dans ce sanglant tableau de la misère sociale, dans cette guerre qui n'en finit pas. A charge pour le spectateur de prendre cette fiction mortifère pour la vie. Une vie au crépuscule de l'agonie...



Conclusion



Koltes nous fait entrer dans les entrailles fumantes de la tragédie, affrontant tous les rapports de force. Une pièce radicale dans un monde désolé. Une plongée en apnée dans l'irréparable, dans le parti pris de la laideur qui ne nous épargne rien. Le dramaturge écrit autour d'un trou noir, se contentant d'utiliser la parole théâtrale pour ne raconter rien d'autre que ce qui est en train de se vivre. Ciselant ses phrases avec la rigueur d'un scalpel, il veut faire jouer la vérité de chacun. Un théâtre d'avant-garde, mais accessible à tous, nous laissant voir un monde à la dérive. Dans cette tragédie d'une lucidité dérangeante, l'auteur malaxe l'oralité du texte avec les frissons de l'épouvante. Il laisse se percuter les mots dans un sac de nœuds. La puissance du texte repose sur cette posture radicale du dramaturge : tout est là, sur le papier, sur le devant de la scène, pas besoin de multiplier les explications, les interprétations...
Koltes explore les mystères fascinants dont son tissés les relations familiales. Il préfère à l'emphase une scénographie toute en retenue. Il ne calcule pas, il veut rester spontané, naturel. Et par là, il insuffle une intensité à son œuvre. Le spectateur finit par se dire : peut-il rester quelque chose à vivre ? A aimer ou à admirer ? Difficile dès lors de se tourner vers la beauté du monde ou de faire un pas en arrière... On ne sait plus.


  • Notes : Roberto Succo né en 1962 italien de la région de Venise qui tuera sa mère puis son père dans les années 1980. Il s'évade de son hôpital psychiatrique en 1986 pour perpétrer de multiples méfaits : viols, agressions, assassinats. Arrêté en Vénétie en 1988, il mourra par asphyxie la même année dans sa cellule, en enfouissant sa tête dans un sac poubelle.


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