Des femmes qui nagent : Note de l’autrice
par Pauline Peyrade
- « Les yeux grands ouverts et l’air de voir, mais c’est un rêve qu’elle voit. »
- Joyce Carol Oates, Blonde.
Au début du geste, il y avait une actrice, il y avait Marilyn. Il y avait sa voix, ses sourires, ses haussements
d’épaules. Il y avait l’irrésistible, le mystère, les médicaments, la disparition. Il y avait la fascination, une
tentative de mettre en mots l’insaisissable, de capturer la belle sur la page.
Puis sont apparues Romy, Karidja, Brigitte, anonyme 1, Mouna, anonyme 2, Delphine, Adèle, Danielle, Catherine,
Isabelle, Patricia, Maggie, Aïssa, et d’autres qui patientent encore aux portes de l’écriture comme dans les
salles d’attentes des auditions, des concours, des agences. Elles surgissent par associations, par fractures,
pour brosser par touches un portrait pluriel, un parcours diffracté qui racontent les actrices et interrogent
leurs places dans nos imaginaires et dans nos fictions.
Que nous disent les actrices, leurs poses, leurs choix, leur parcours, leurs corps, des corps, des choix,
des prises de position des femmes aujourd’hui ? Au début de l’écriture, il y avait une certaine histoire de la
violence. Violence physique, psychologique, symbolique, médiatique, chimique, infligée ou auto-infligée, intime
ou publique. C’est une histoire écrite en rôles, en fantasmes, en photos. Des corps qui n’échappent pas à la
fiction, des corps poursuivis par le désir des autres. Des corps construits pour les uns, déconstruits par les
unes. Une histoire des actrices semble aussi être une autre façon de parler des femmes, de toutes les femmes
prisonnières de « l’œil d’homme » de Nancy Huston. Une façon de parler de l’amour, aussi. De notre rapport à
l’image, de prendre au sérieux nos images, nos projections, comme constituantes intimes de nos identités.
Dans la suite de l’écriture, s’est précisée la question de l’image : penser de, par l’image. Des femmes qui nagent,
c’est une image en soi, qui commente, qui s’invite à se penser elle-même. Nous irons voir du côté de Godard,
pour qui seules les images pouvaient parler de l’image.
Dans la suite de l’écriture, s’est aussi imposée la forme-somme, impossible à monter, à traverser en une fois.
Une forme qui prend de la place, pour donner de la place aux actrices, aux créatrices, un geste qui prennent
l’espace et le temps, démesuré à la démesure de leur invisibilisation, de leur marginalisation. S’imposent
aussi les yeux et les caméras des réalisatrices, Chantal Akerman, Claire Denis, Barbara Loden, les voix des
actrices interviewées par Delphine Seyrig, « l’événement Adèle Haenel ». Les actrices qui commentent leur
propre image, des chiffres qui découragent. Une somme faite de portraits, de scènes de film et de prises de
paroles, tendue entre l’hyper-subjectif et le nombre, une exhaustivité irréalisable, qui continue de grandir et de
se préciser, de se transformer. Une tentative folle d’en embrasser le plus possible. Un film pour la scène. Un
scénario impossible.
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