: Mettre en scène Hanokh Levin
Il y a de nombreuses façons d'aborder l'oeuvre de Hanokh Levin. Son
écriture est si riche et si diverse que chaque fois que l'on ouvre une
porte, c'est pour tomber sur une multitude d'autres portes qui, une fois
ouvertes, nous révèlent une multitude d'autres portes et ainsi de suite...
En effet, rares sont ceux qui ont su, mieux que lui, poser les jalons de ce
qui va venir nous embarquer dans leur logique dès les premières répliques,
nous jeter sans amortisseurs dans un monde où, sans aucun
doute possible, vont être bousculées toutes les règles de la bienséance,
physique et morale. Dès les premiers mots, aucune échappatoire possible,
aucune complaisance.
Levin a un tel respect pour l'être humain en général et pour son public en particulier, qu'il ne gâchera jamais du temps scénique - si précieux - en broutilles. Il va donc tout de suite à l'essentiel: le plateau n'est-il pas l'endroit privilégié où l'Homme peut dire tout haut ce que les hommes pensent tout bas ? Oui, bien sûr.
Mais il y a une autre chose encore, induite par le fait que Levin ne se
contente pas de cette conscience, il va plus loin et je ne connais pas
d'autre auteur qui ait été si loin: il ose dire tout haut ce que nous
n'osons pas nous avouer penser tout bas... Ames sensibles s'abstenir...
En cela, les premières répliques sont magistrales. Que ce soit dans ses
comédies ou plus tard, lorsqu'il ouvre la focale et construit des oeuvres
monumentales, une vérité nous prend à la gorge: dans cette vie, ce sera
toujours l'impasse la plus totale.
Les exemples sont multiples, Yona, dans Une Laborieuse Entreprise: "Je
suis un homme fini", de Kroum l'Ectoplasme: “Maman, je n'ai pas réussi. Je n'ai trouvé ni la fortune ni le bonheur à l'étranger”.
Dès la première page, tous ces héros annoncent la couleur, ils avancent
avec, en bandoulière, le constat - d'une implacable lucidité - de ce qu'ils
sont (rien) et de ce qui les attend (rien).
Eh oui, les héros léviniens sont exactement comme nous: ils ont tout compris, il leur manque la recette pour en faire quelque chose. Si bien qu'ils vont perdre du temps en vaines tentatives, jusqu'au coup de grâce où Levin sacrifie ceux qu'il a mis en lumière, il les abandonne sur scène, privés de tout: quand ce n'est pas de la vie, ce sont de leurs illusions, parfois des deux. Au dernier acte, Yona se relève de la mort pour dire : “Avant, je pissais fort et loin! maintenant ça dégouline sur mes chaussures ! Je me suis vraiment mal débrouillé” Job sur son pal hurle de douleur et comprend trop tard que Dieu n'existe pas..
Frédéric Polier
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.