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Variations Antigone

+ d'infos sur le texte de Eugène Durif
mise en scène Philippe Flahaut

: Rencontre avec Philippe Flahaut

Pourquoi montes-tu cette pièce aujourd'hui, d'un point de vue personnel ?


Les mythes m'ont toujours fasciné. Ils ont une réelle résonnance pour moi aujourd'hui. Poser la question de sa destinée, de la fatalité, de notre rapport au spirituel, me semble fondamental, pour préserver notre pensée. Le Théâtre aujourd'hui perd toute sa force, sa noblesse et son rôle premier qui est de nous faire réfléchir. Un homme se lève un matin, il doit payer ses impôts, il est au chômage, sa mère est malade, une saison culturelle lui propose de se distraire, il y va.... Le lendemain il se réveille, il a toujours ses impôts à payer, il est toujours au chômage, sa mère est toujours malade... Rien n’est résolu, un jour il risque de ne plus se lever... J'aimerais que nous nous levions, nous nous élevions, comme Antigone...La catharsis ne joue plus son rôle purificateur.


Est-ce lié à ton travail avec des comédiens « différents », handicapés mentaux ?


Bien entendu, quand je fais appel à ces comédiens, c'est parce qu'ils ont quelque chose à dire sur le texte. Cette famille des Labdacides, est condamnée à mourir parce qu'un de leur aïeul a fait une faute. Le père d'Antigone est banni de la société, il boîte, on se moque de lui. C'est une famille bancale,, handicapée qui essaye de conjurer le sort. « Qui peut échapper à son sort et bondir hors du cercle des générations et naître sans ce qui depuis toujours est à porter malgré nous ? » (« L'Enfants sans Nom » E.Durif)


La poursuite du travail avec Eugène Durif s'est-elle imposée comme une évidence ?


« L'Enfant sans Nom » a vraiment été et est toujours une très belle aventure. Ce spectacle tourne toujours et remporte un vif succès auprès du public, et tout particulièrement auprès des jeunes. A la fin du texte d'Eugène, Antigone réapparaît pour accompagner son père à la mort. Il fallait qu'Eugène, qui est devenu mon ami, continue cette histoire. Passer commande à un auteur vivant c'est exceptionnel, précieux. Cela ne va pas sans prendre des risques, mais ce sont bien ces risques qui me font vivre. A un mois de la première de « Variations Antigone », je pense très souvent à lui, c'est avant tout lui qui ne devra pas être déçu, il ne connais rien de ma proposition de mise en scène. Il m'a passé le témoin, que je passe peu à peu aux acteurs qui le passeront bientôt aux spectateurs. Mais c'est Eugène Durif, l'auteur, qui est le starter.


Comment abordes-tu la mise en scène d'un texte très lyrique et poétique tel que celui d'Eugène Durif ?


Quand j'ai reçu le texte d'Eugène, j'étais en Grèce, je l'ai lu comme un enfant lirait une lettre tant attendue de ses parents. J'ai pleuré, tellement la poétique de son écriture était belle. Puis le lendemain, j'ai compris que c'était lui qui me faisait une commande (?). J'ai eu beaucoup de mal à démarrer, car son écriture était un long poème de 35 pages. On pouvait tout de suite penser à une lecture mise en espace. Mais je m'étais promis de le faire jouer par la même équipe (ou presque) que « L'Enfant sans Nom ». Il y avait une évidence, c'est que Florence Hugot qui jouait Antigone, devait s'emparer de ce texte. Alors j'ai imaginé que ce texte sur l'enfance était un songe qu'Antigone faisait tout en vivant vraiment sa dernière journée. Deux univers intemporels celui du songe et celui de la froideur du palais avant sa mort.


Qu'est ce qu'implique pour toi la création d'une « Antigone » avec les comédiens différents ?


Le travail avait commencé par « L'Enfant sans nom », librement inspiré de « Oedipe Roi » de Sophocle. On y parle bien entendu de fatalité. Quand je choisi un comédien, la première chose dont je m'assure, c'est qu'il pourra défendre le texte. Même si sa vocation c'est de mentir, je ne travaille pas avec des comédiens qui n’ont rien à dire par rapport au texte. C'est une fonction politique que j'assume. Nous avons discuté de longues semaines avec ces comédiens différents sur la fatalité, sur ce qu'ils doivent porter jours et nuits, dans leur quotidien. Ils ont rapidement compris combien cette famille des Labdacides leur ressemblait. Ils sont là sur la scène également pour montrer que l'on peut se lever, et que leur revendication face à une société pas franchement agréable avec eux, peut s'assimiler à la révolte d'Antigone. Je pense au droit de désobéir, de s'affronter.


Le théâtre doit-il toujours à tes yeux avoir une implication sociale ?


Bien sur que non. Mais quand on s'implique socialement on dérange. En ce moment j'estime qu'il faut accentuer ce rôle. Les artistes semblent s'autocensurer, pour satisfaire un pouvoir et aussi des spectateurs, des organisateurs, qui ont de plus en plus peur de prendre des risques. Je dis souvent que le plus grand respect que je peux avoir pour le public quand je travaille une mise en scène, c'est de ne pas penser à eux. Sinon je rentre dans leur attente, leur affectif, et je ne dis plus, je deviens un objet de consommation artistique. Entre trente ans de métier, je n'ai rencontré qu'une seule fois l’interdit de dire. Je me suis juré que c'était la dernière fois.


Avec la reprise de « L'enfant sans nom », notamment pour le festival d'Avignon off en 2007, tu avais souhaité une scénographie épurée, qui laissait la part belle aux mots de Durif, qu'en sera t-il pour « Variations Antigone » ?


Quand je remplis la scène d'un décor spacieux, quand je me laisse aller à une scénographie baroque, c'est que j'ai peur... « Une chaise sur un plateau vide et c'est de début des emmerdes ». … Je ne sais pas ce qui va se produire d'ici un mois, mais pour l'instant il n'y a qu'une table, trois chaises et deux stèles...


Quel est à tes yeux l'apport artistique et dramatique des comédiens différents dans ta façon de monter un spectacle ?


Sans aucun doute leur corps. L'esthétique. Le mouvement de ces corps différents. La justesse de ces mouvements. C'est parfois de la danse. Et puis des codes différents, une façon directe de regarder sans détour l'autre comédien et le public.


Quelles interactions entre les comédiens dits « différent » et ceux dits « ordinaires» ?


C'est assez compliqué. Il y a d'abord l'étonnement, la fascination même des comédiens « normaux » que l'on appelle au sein de la Cie « ordinaires » face au travail des comédiens différents. Puis un échange des différences intéressantes, mais au fur et à mesure, en tournée, je vois pointer un retour en arrière. Les comédiens ordinaires occupent plus de place sur le plateau, et alors ça devient banal, je ne reconnais plus mon travail de départ. Je dois souvent pointer ce décalage, et nous repartons sur les bases initiales.


Ton objectif avec ces comédiens est-il de tendre vers une normalité de jeu ?


Sûrement pas. C'est peut être ce que l'on demande à ces femmes et à ces hommes dans la société, mais sur le plateau je préserve leur différence, leur façon de s'exprimer, c'est bien ce que l'on doit protéger pour n'importe quel artiste.


En deux mots, que souhaites-tu que l'on retienne de ton théâtre ?


Une esthétique singulière. Une rencontre avec l'autre et surtout avec soi même… L'homme ne veut pas savoir qui il est, c'est au théâtre à lui dévoiler.

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