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Un Siècle d'industrie

+ d'infos sur le texte de Marc Dugowson
mise en scène Paul Golub

: Présentation

Notes d’intentions


Pourquoi j’ai écrit cette pièce ?


En racontant l’histoire et la vie d’une entreprise allemande qui fournissait les camps d’extermination nazis en fours crématoires durant la deuxième guerre mondiale, Un siècle d’industrie confronte le spectateur au processus de mise en œuvre politique, idéologique et technique du génocide des Juifs et à la participation des individus à ce processus. Pourtant cette entreprise qui s’était placée au cœur du dispositif de destruction des Juifs d’Europe, n’appartenait pas aux organisations criminelles d’Etat de l’Allemagne nazie.


L’implication criminelle de pans entiers de la société civile aux côtés des organisations criminelles d’Etat interroge l’ensemble de l’Humanité en ce qu’elle signe, à chaque génocide, la faillite du genre humain. Tel fut aussi le cas pour le génocide des Arméniens, tel est maintenant le cas pour le génocide des Rwandais tutsis, à tel point qu’on a pu parler pour ce dernier de génocide de « proximité ».


S’il s’inquiète du présent, Un siècle d’Industrie s’inquiète aussi de l’avenir.


Marc Dugowson


Que pourriez-vous dire à vos spectateurs ?


Rigoureusement documentée, cette pièce remarquable, jamais montée jusqu’alors, révèle par petites touches le processus quotidien par lequel l’être humain peut arriver à participer activement à une entreprise d’extermination.


En effet, Un siècle d’industrie part d’un fait réel entendu par l’auteur à la radio : la revendication, après la chute du mur de Berlin, d’un des ayant droits de la firme TOPF und Söhne, fabricants des fours crématoires, de restitution de ses “biens” mis sous séquestre par les communistes. Le personnage principal Otto Krüg est lui aussi inspiré d’un personnage réel, celui de Kurt Prüfer, chef ingénieur de cette même firme.


Utilisant une économie de moyen et une langue ciselée au burin, la pièce traverse 80 ans d’histoire en 34 saynètes. Bien que l’écriture s’ancre dans la réalité quotidienne des personnages, le passage du temps donne un relief historique à l’action et confère au texte sa théâtralité.


Jean-Claude Grumberg, dans sa préface du texte édité à l’Avant-Scène Théâtre, collection Les Quatre-Vents, écrit :


Un siècle d’industrie est une pièce que j’aurais aimé avoir écrite mais je ne le pouvais sans doute pas, il fallait que ce soit un auteur qui n’ait pas les deux pieds dans le XXe siècle. Le courage de Marc, sa solitude, son exigence, sa lucidité, font de lui un auteur du XXIe siècle. Vous qui vivez et vivrez dans ce XXIe siècle, suite absurde et logique de notre siècle d’industrie, que pourrez-vous dire à vos spectateurs ? L’œuvre de Marc Dugowson apporte une réponse. Je me réjouis de voir publier sa pièce, je me réjouirai davantage encore quand elle sera montée. Parmi la pléthore d’ouvrages qui cherchent à arrondir les angles, son Siècle d’industrie se révèle une entreprise qui n’a rien à voir avec l’industrie, fût-ce celle du spectacle.” *


Paul Golub


La mise en scène : L’évidence et la nécessité


Le plus souvent, le choix d’un texte ou d’un projet de mise en scène se fait pour moi après beaucoup d’hésitations et de doutes. Il me faut du temps avant que l’idée naissante et informe d’un projet se transforme en évidence et en nécessité. Dans le cas d’Un siècle d’industrie, chose rare, cette nécessité est née dès la première lecture. Voilà, me suis-je dit, un texte qui parle d’un sujet important, mais avec une évidente jubilation qui est propre seulement au théâtre : une langue ciselée au burin, des personnages forts et fortement dessinés, et une trame qui, d’un coup de baguette magique, télescope l’histoire de toute une époque avec celui des individus qui la composent dans un seul coup de poing narratif.
Avant tout il me semblait – comme il me semble toujours aujourd’hui – que ce texte, tout en parlant d’événements passés, réussissait à évoquer notre présent et notre avenir. La pièce pose la question : comment ces hommes et ces femmes ont-ils pu devenir complices de tels actes ? Et, en la posant, elle entraîne son corollaire : dans quelles conditions pourrions-nous devenir complices à notre tour ?
A la veille de la première, le sens du projet s’est confirmé à chaque répétition. Ma conviction solitaire est maintenant celle de toute une équipe et notre enthousiasme est sans faille. Chaque jour a été un combat joyeux pour le bien du spectacle. Mais la confrontation au plateau, aux costumes, au maquillage, au travail du son et de la lumière, nous rapproche inexorablement de la réalité de l’incarnation et de celle de notre rencontre imminente avec le public. Soudainement, le projet nous prend par les tripes et l’on se demande : peut-on vraiment mettre en scène et jouer les lâches, les criminels, ceux qui ont rendu le génocide commis par les nazis ?
Je pousse les comédiens à jouer sur le fil du rasoir, sans emphase ni excès émotionnel, mais au plus près de leurs personnages, jusqu’au point de les défendre coûte que coûte, en se donnant à l’ironie noire du texte, sans jugement. Faire confiance au texte et au public.
Avec Un siècle d’industrie, nous sommes à des années-lumière d’un art officiel qui veut penser nos réactions pour nous : le texte nous met dans l’inconfort de nos propres sentiments et responsabilités, et c’est en cela qu’il est important.
Je voudrais pour toutes ces raisons saluer tous ceux qui ont eu le courage de nous soutenir dans ce voyage, et plus particulièrement Pierre Pradinas et toute l’équipe du Théâtre de l’Union, Centre Dramatique National du Limousin, ainsi que Marc Jeancourt et le Théâtre Firmin Gémier - scène conventionnée d’Antony.


Paul Golub
Décembre 2005




Synopsis


1918 - Aujourd’hui


Un siècle d’industrie suit la montée en puissance d’Otto Krüg, vétéran de la guerre de 14-18, dans la firme Kolb, firme d’ingénierie spécialisée dans le traitement des déchets. Au second plan se trament les histoires personnelles et quotidiennes de l’entreprise, et notamment l’histoire d’amour entre Krüg et Gertha Kolb, la femme du directeur.


Durant les années 20, l’entreprise Kolb échappera de peu aux crises économiques qui déferlent sur l’Europe et l’Allemagne en particulier. En 1937, Krüg préservera son emploi et assurera le développement de la firme en ramenant un nouveau marché : celui des fours crématoires utilisés pour l’incinération des corps des opposants du régime nazi, morts “ naturellement ” lors de leur détention dans les camps de concentration.


Entre temps, Gertha Kolb annonce à Krüg qu’elle est enceinte de lui, tandis que le contremaître Ritter œuvre au sein de l’entreprise pour la sauvegarde “de l’honneur et du sang allemands” pour finalement rejoindre les rangs des SS.


Les années de guerre et la politique de destruction des Juifs et des Tziganes menée par les nazis à travers l’Europe conduisent à une accélération frénétique du travail. La SS demande des performances techniques de plus en plus hallucinantes à Krüg. L’ingénieur est amené à accroître la capacité des fours crématoires et à collaborer à la mise au point des chambres à gaz des camps d’extermination, devenant ainsi activement complice du génocide. Mais les Russes et les Américains gagnent du terrain. Krüg sent bien que la “guerre contre les Juifs” est perdue. Kolb se suicide. Krüg disparaît dans le Goulag.


La pièce fait ici un saut radical dans le temps passant directement de 1944 à 1972. Dans la rue, Hilde Hartmann, ancienne salariée de la firme, reconnaît Hans Ritter, l’ancien contremaître nazi, à la fois son violeur et l’homme qui fit déporté son amant juif. Quand elle l’accuse, il prétend être quelqu’un d’autre, lui disant, de toute façon “Vous n’y changerez rien.”


Dans la dernière scène, après la chute du mur de Berlin, Gertha Kolb, qui est maintenant une très vieille dame, parlant à elle-même (ou peut-être au public) :« Aujourd’hui que notre nation est réunifiée, je réclame la restitution de nos biens abusivement mis sous séquestre par les communistes. Mon mari a donné du travail et des emplois. Il est mort. Les Soviétiques ont liquidé l’ingénieur. Il y a eu toutes ces histoires avec les juifs. Des exagérations monstrueuses. Les crématoires c’étaient seulement quelques pour cent du chiffre d’affaires. Nous avons assez payé comme ça. Les rouges ont perdu. Erfurt réintègre la nation allemande. On ne doit plus terroriser l’Allemagne avec l’histoire des juifs. Lieselotte n’était qu’une enfant. Mes petits-enfants n’étaient même pas nés. Ce soir, nous partons en famille dans le Tyrol. Pourvu qu’il fasse beau. »

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