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Sallinger

mise en scène Catherine Marnas

: Le mot de Michel Corvin

Catherine Marnas : une force impitoyable

Catherine Marnas, metteur en scène de Koltès…. Des souvenirs remontent, vifs comme une blessure.


Souvenir de la représentation de l’Héritage créé au théâtre des Abbesses en 1997 : beauté incisive des images, découpées comme dans un tableau de Zurbaran, science de la lumière, richesse d’invention des plans et des volumes dans un espace presque constamment obscur, retour lancinant d’une musique grinçante et saccadée, torsion des corps, danses dionysiaques forcenées, tout cela a gravé dans nos mémoires l’image d’une force impitoyable : celle d’un Koltès qui combat contre des ombres dans l’ambivalence d’une volonté exacerbée de solitude et du besoin compulsif d’échange : par l’amour, l’amitié, voire la simple conversation. Mais de simple conversation, il ne peut être question dans l’Héritage où toute parole dégénère immédiatement en violence, en intolérance, en souffrance infligées et reçues.


Force impitoyable aussi et surtout de Catherine Marnas qui se collette à cette famille impossible avec la précision d’un chirurgien des âmes, capable d’arracher du plus profond des êtres l’indicible de leurs obsessions : le cancer qui les ronge, tous et chacun, à des niveaux et à des titres divers, il a mûri et, en ce jour particulier de la mort du père, il explose à travers des personnages qui n’en sont, pour ainsi dire, que l’enveloppe ; leur malêtre intime la déchire pour la convulsionner et l’affoler. On pourrait se dire que c’était là un exercice expressionniste de haute volée et que le metteur en scène tendait à l’extrême les ressorts hystériques de ses comédiens. Il faut bien davantage apprécier la maîtrise d’une artiste qui menait à la limite du supportable le déchaînement des force noires, non pas pour un déballage anarchique d’excès en tout genre, mais pour un jeu de pure et exigeante théâtralité.


Que va-t-elle faire du nouveau Koltès qu’elle monte ? Sallinger est écrit comme un roman qui exige, ou bien beaucoup d’imagination pour rendre compte d’espaces irréalisables au théâtre avec son mélange déraisonnable de réel et de rêve, de passé et de présent, de quotidien et de boursouflé ; ou bien une grande maîtrise du jeu, à telle enseigne qu’un seul acteur (« le rouquin ») puisse, par les seuls moyens de ses gestes et de sa voix, faire partager, avec sa versatilité et son immaturité, ses multiples prises de vue sur la vie : jeune homme mais encore enfant, imprévisible en adulte et inconséquent, mixte de légèreté et de violence, de grâce juvénile et de rudesse. Qui exige de la finesse et de l’humour, en somme ?


De la finesse il en faut, de la part du metteur en scène, pour rendre compte, sans les édulcorer (ou les ridiculiser) des complexités inattendues de personnages qui naviguent entre l’héroïsme de paumés de films de série c et la niaiserie de midinettes ou de figurines stéréotypées ; des situations à cheval sur le quotidien le plus plat et le fantastique le plus cinématographique ; d’une langue qui combine les vulgarités avec des images fulgurantes et des coulées de poésie à rendre jaloux un Genet (je dis Genet car l’univers de Koltès, par bien des points, est voisin de celui de l’inclassable Genet).


L’humour ? Il est indispensable pour garder en face de ce monde faussement mais volontairement américain, tel que perçu par un amateur assidu de films noirs et de S.F., une distance qui sauvegarde l’essentiel : une plongée dans une méditation existentielle sur le sens – et le temps – de la vie. Vie assez insignifiante pour qu’on y mette fin brutalement par un coup de roulette russe, assez fondamentale aussi pour que nous soyons saisis d’amitié, voire de tendresse, pour ce monde de roman-photo : il dresse devant nous un portrait décalé et subtil, tout en demi-teintes, des enjeux de l’existence.


Finesse et humour - qui s’allient avec son talent à aller jusqu’au bout de ses idées et de ses images -, ce sont précisément les qualités que j’ai eu le plaisir d’apprécier, de très longue date, dans toutes les mises en scène de Catherine Marnas. C’est dire combien je me réjouis d’avance de cette nouvelle entreprise.


Michel Corvin
Professeur honoraire à l'Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle (Institut d'Études Théâtrales)

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