Automne 2013, atelier d’écriture au Centre Départemental de l’Enfance et de la Famille, Toulouse. Là-bas, je croise une jeune fille qui semble venir de loin, elle porte dans les yeux bien des vies, et se retourne souvent, comme pour épier les ombres dans son dos.

Après quelques mois de mots partagés, elle me livre son histoire.
L’histoire d’une adolescente qui a choisi de venir vivre sur la terre de France, qui a choisi de « traverser » la Méditerranée.

Son pays natal s’appelle Guinée. Il est fait de couleurs et de cris, de montagnes et de sables. Ce n’est pas un pays en guerre, et S. y vit comme n’importe quel autre enfant jusqu’à ses dix ans.
Mais c’est aussi un pays qui autorise la polygamie, l’excision, qui fait souvent passer les femmes derrière les hommes, loin derrière. Un pays où vivre libre, vraiment libre, s’avère compliqué quand on est une jeune femme.

À partir de ses dix ans, la vie de S. se déchaîne. Son père prend une deuxième épouse. Sa mère refuse cette fatalité et part, laissant ses enfants. La deuxième épouse a d’autres enfants avec le père de S, et réduit en esclavage ceux issus du premier mariage de son mari. Ils n’ont désormais pour elle qu’une seule utilité : ramener de l’argent. L’école est secondaire, la vie de jeune fille de S est secondaire. La haine des hommes essaie de s’incruster sur ses élans, par tous les chemins.

Alors qu’elle vient d’avoir 16 ans, sa famille promet S en mariage à un monsieur de près de 60 ans, comme troisième épouse.
S met de longs mois à rassembler toutes ses forces, à convoquer le courage et le destin, et décide enfin de traverser la Méditerranée.
Elle choisit la France, parce qu’elle parle parfaitement le français et aime lire Camus, Sartre, Voltaire. Elle choisit la France, pour essayer de se construire une vie de femme instruite, et libre.