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Par le Boudu

mise en scène Bonaventure Gacon

: Entretien avec Bonaventure Gacon

Entretien réalisé par Stéphane Bouquet — octobre 2012

Les philosophes ne sont pas d’accord sur grand chose mais ils ont l’air d’être d’accord sur les puissances de vie qu’abritent le clown et qu’il est chargé de transmettre aux humains. Trois citations suffiront sans doute. Gilles Deleuze parle de Chaplin comme de celui qui incarne les « variations d’un élan vital que le clown peut mimer. » Alain Badiou dit des clowns de Beckett qu’ils sont « la vraie destination du comique : non pas un symbole, non pas une métaphysique déguisée, encore moins une dérision, mais un amour puissant pour l’obstination humaine, pour l’increvable désir. » Jean-Baptiste Scherrer enfin dans son livre sur La Position du clown écrit que « Le privilège du clown, c’est de ne rien comprendre à ce que tout le monde sait bien. Ce qu’est la sexualité, par exemple. (…) Le clown, dernière figure du risque, s’essaye à d’improbables numéros. Il a l’audace d’inviter le désir. » C’est le talent du Boudu de Bonaventure Gacon, clown ermite et philosophe, réfugié dans sa caverne, d’avoir compris qu’il fallait prendre le risque justement de vivre et celui d’assouvir ses appétits sans peur et sans reproche. L’ogre méchant, sale et sans tabou qu’il incarne ne s’appelle pas Boudu pour rien. Bien sûr, Boudu c’est un hommage à Michel Simon, mais c’est surtout — comme le dit Gacon — celui qui va au bout du, au bout du désir par exemple, au bout de ce que veut dire vivre. C’est en cela que l’Auguste qu’il incarne avec force — nez rouge, manteau trop vieux, chaussures trop larges, voix trop forte, colère trop grande — garde pour nous toute son actualité et surtout toute sa vitalité.

Pourquoi utilisez encore la figure du clown aujourd’hui ?


Parce qu’il nous offre une autre façon d’être dans ce monde. Pour moi le travail du clown nous oblige à lâcher un peu sur la conscience, le côté premier de la classe. C’est un appel viscéral, gamin, moins réfléchi, au rire que nous avons au fond de nous. C’est une bonne chose à donner à notre époque si consciente d’elle-même et si sérieuse. Le clown a quelque chose de plus animal, de plus sauvage.


Comment avez-vous construit votre personnage ?


Dans le premier numéro que j’ai fait, je me pétais la gueule en patin à roulettes. Ça faisait rire les gens et en même temps ça leur faisait peur, parce que c’était quand même assez violent. Cela créait une sorte de compassion. J’aimais cette dualité, ce mélange entre le rire et la compassion pour le pauvre bougre. C’est une belle façon de causer de l’humanité d’essayer de rire de ce qui est dur, et de s’attrister de ce qui est drôle. J’ai voulu faire ce spectacle comme un livre pour enfants mais pour adultes. Quand on est tout seul, avec un livre pour enfants, on redevient gamin. Mais si on le lit à un enfant, on a de nouveau une conscience d’adulte, on regarde si c’est bien fait, où sont les symboles, que dit la morale du livre. Donc j’ai essayé de retrouver un état d’enfance dans l’adulte, de faire une poésie assez brute, comme une sorte d’art brut, un peu craché, un peu jeté. D’en passer par l’instinctif et le viscéral.


En même temps, vous conservez la panoplie très identifiable de l’Auguste, son nez rouge, ses chaussures qui le rendent pataud dans les choses.


C’était comme pour rassurer. Le protocole est là. On sait où l’on est, en compagnie des clowns d’avant. La forme est définie et ensuite on peut parler du fond. Que pense un vieux bougre, un vieux clown ? Si j’avais changé l’apparat, l’extérieur, alors j’aurais pu moins facilement aller trifouiller le fond. Tandis que là : oui, on voit bien, on est au courant. Alors on peut causer d’autre chose que de la forme.


Le titre de Boudu est un clin d’oeil à Michel Simon ?


C’est un clin d’oeil parce que le film de Renoir campe aussi une espèce d’Auguste, une espèce d’exclu, de bourru. La question qui se pose face à Michel Simon dans Boudu sauvé des eaux ou dans L’Atalante c’est : est-il si sale cet homme ? si méchant ? Le spectacle démarre sur cette question-là. Je n’ai pas voulu faire un spectacle provocateur, trash, sale et méchant, mais parler d’autre chose à travers cette méchanceté, causer du côté humain, de la fragilité, de la solitude. C’est une sorte de clochard qui se livre. Boudu, c’est aussi le bout du – le bout du rien, la fin de la plaine. Il est au bout de désespoir et cela se traduit dans une espèce très particulière de comique. Le clown est celui pour qui la vie est difficile mais la force du théâtre, ou du cirque, c’est qu’à cet endroit-là on peut rire de l’humanité triste.


D’où votre réputation de méchant.


Oui, souvent, la presse affiche Boudu comme un clown méchant, trash, qui fait peur aux enfants. Méchant, ça ne me dérange pas. C’est l’ogre des livres pour enfants. Bien sûr, j’ai plutôt écrit un spectacles pour adultes, mais adulte ne signifie pas vulgaire ou porno. C’était pour retrouver quelque chose. Ce personnage a un côté sensible aussi, poétique, drôle, qu’il ne faut pas selon moi évacuer.


C’est un spectacle qui parle beaucoup, plus peut-être que les habituels numéros de clown. Comment avez-vous réglé le rapport corps/texte ?


Je pense que c’est aussi physique que bavard. Pour moi, la parole est une sorte d’outil, comme on pourrait dire que Boudu a des bras. C’est vrai qu’il est bavard, ce bourru, mais je n’ai pas l’impression que c’est par la parole qu’il cause. La parole, je l’utilise de manière physique. De toute façon, à l’origine, il y a la même chose : une sensation qui est là, qui fait que le corps se meut, que la parole monte aux lèvres. J’ai beaucoup pensé en travaillant aux gamins, aux vieux, aux clochards, à ces situations de fragilité qui laissent passer une émotivité.


Le corps est quand même soumis à rude épreuve.


J’ai une formation d’acrobate de cirque. Quand j’ai commencé à penser au spectacle je voulais mettre des acrobaties, des saltos, mais je ne pensais pas qu’un clown bourru, tordu, un peu ogre, puisse faire ça. Alors je fais quand même des acrobaties, mais avec l’idée que ça lui échappe. J’ai plutôt travaillé finalement à l’inverse de ce que j’imaginais, en freinant la réalité d’un corps, en essayant de retenir quelque chose.


Ce clown qui parle beaucoup, est-ce qu’il nous raconte une histoire ? Comment avez-vous construit son discours ?


Ça ne raconte pas vraiment une histoire. Il se raconte, il se livre. On a des bribes. Il est devant sa grotte et puis il se met à parler tout haut. Il ne s’adresse pas au spectateur. Il se parle à lui. Il monologue. Il a une espèce de retenue, de silence, de rien qui finit par causer.


C’est un écho de Beckett ?


On me l’a dit, alors ça fait plaisir, forcément.

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