: Toute la fragilité d’être au monde
Note d’intention
« L’auteur de cette adaptation – son metteur en scène, a grandi auprès d’une mère dont la souffrance
intérieure, la fragilité d’être au monde, a provoqué tant de chutes du fil ténu sur lequel se jouent les
déséquilibres de notre équilibre, qu’un beau jour elle n’eût plus le courage : elle trancha le fil. Ossyane
Ketabdar, lui, passe trente ans de sa vie dans un hôpital psychiatrique. Trente années d’isolement
coupé des siens et de sa famille. Mais Ossyane, privé d’amour, de sa femme et de sa fille, condamné
par les siens et oublié du monde, n’abandonne pas. Celui dont le prénom signifie en arabe «
insoumission » résiste à son destin et à l’acharnement du sort. Et un beau jour l’irruption furtive de sa
fille Nadia, née en son absence vingt ans plus tôt, rallume l’espoir. Espoir fragile et inextinguible qu’il
entretient pendant dix ans avant que s’offre à lui la possibilité de fuir et de reconquérir une place dans
l’Histoire qui continue de s’écrire. Après trente années de lutte Ossyane, ayant terrassé ses démons
intérieurs, retourne à la vie.
C’est cette résilience, cette résurrection, qui a profondément touché le créateur de ce spectacle. Qui a
résonné dans sa chair et fait naître au fil des mois, des années, le désir profond de raconter cette
histoire.
Souffrance intérieure, fragilité d’être au monde, espace intime où la raison se dérobe sous le poids
d’une douleur innommable, rupture soudaine avec le monde, avec l’autre, fêlure intérieure ; la folie,
donc, est le sujet de cette création. Bien qu’annoncée dès le début par la grand-mère d’Ossyane, elle
n’est en fait développée que dans la quatrième et dernière partie de la pièce. Les trois premières
parties ne sont rétrospectivement que le cheminement qui conduit au coeur de notre sujet. On pourra
trouver dans cette construction une référence à The barber des frères Coen ou bien encore à Million dollar baby de Clint Eastwood. Deux films où le sujet n’est révélé que tardivement dans l’histoire. Le
choix d’une telle structure dramaturgique permet à notre sens une compréhension plus riche de sujets
complexes tels que, respectivement dans The barber, Million dollar baby et Ossyane : la peine de mort,
l’euthanasie volontaire et la folie. Dans ces trois cas le même procédé est à l’oeuvre : le spectateur
accompagne le protagoniste dans sa vie, son histoire, ses choix, ses conflits... et l’intimité qui se
construit au fil de cette « préparation » forge une empathie profonde entre spectateur et personnage. Et
celle-ci bouleverse notre représentation du sujet (la peine de mort, l’euthanasie, la folie) quand celui-ci
fait soudainement irruption.
Cette empathie est d’autant plus indispensable à nos yeux que la folie provoque gêne, malaise,
fantasmes, peurs... et provoque des réactions de protection et de repli parfois violentes : refus,
négation, reniement familial, rejet, ridiculisation, diabolisation, voire criminalisation... (on notera au
passage le choix du vocabulaire et des faits divers traités pour aborder le sujet des maladies mentales
dans les médias français ces dernières années).
Notre but est ainsi d’amener le spectateur à lâcher ses référents et ses fantasmes de la figure du fou (dangereux, criminel, étranger...) et l’inviter à travers la chute d’Ossyane à reconsidérer sa représentation de la folie. A lui faire ressentir que le « malade mental » n’est pas un pestiféré, pas plus qu’un étranger, un « autre » en marge de son monde mais bien un Homme, semblable à lui-même. Un Homme en souffrance. Une souffrance intime et innommable. Et qu’il n’y a pas à avoir peur de cette souffrance. Qu’elle est juste une parcelle d’humanité un peu plus fragile que les autres, une parcelle présente en chacun de nous ; dire alors qu’il nous appartient d’en prendre soin pour que s’y maintienne ce fragile équilibre dont nous sommes faits.
Comment certains d’entre nous parviennent à construire des remparts suffisamment forts pour les protéger à la fois de cette fragilité intime et de ces souffrances du monde ? Pourquoi un jour les gardefous de certains autres s’effondrent et mettent en péril l’équilibre fragile de l’être ? Comment certains parviennent-ils à retrouver la paix quand d’autres abandonnent ? Ces questions, qui hantent le créateur du présent spectacle, sont au coeur du regard porté sur le Père, sur Salem, Iffet, Lobbo et Ossyane. Elles sont le moteur qui le pousse à explorer ce sujet. Puissent-elles enrichir notre vision du monde et notre compréhension des Hommes. »
Grégoire Cuvier
avril 2010
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.